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UN PROJET DOBSERVATOIRE POUR LEIP
Document de réflexion proposé par Jean Hénaire
I. Ce quest lEIP
Fondée en 1967 à Genève, lEIP est une organisation internationale non gouvernementale qui contribue depuis plus de trente ans à léducation aux droits de lhomme et à la paix dans le monde. lEIP est dotée dun statut consultatif auprès du Conseil économique et social des Nations Unies (ECOSOC), de lOrganisation internationale du travail (OIT), de lUNESCO, du Conseil de lEurope et de la Commission africaine des droits de lhomme et des peuples.
Oeuvrant sur tous les continents, lEIP compte une quarantaine dantennes nationales. Le réseau de l'EIP est majoritairement composé de pédagogues, de formateurs en éducation populaire et de chercheurs en sciences de léducation, en sciences sociales, juridiques et humaines; on y compte aussi des responsables détablissements scolaires, des fonctionnaires de léducation, des militants dautres ONG, des artistes et des étudiants. Son Centre international de formation à léducation aux droits de lhomme et à la paix (CIFEDHOP) offre des sessions de formation aux échelles internationale, régionale et nationale. Les approches pédagogiques et didactiques de lEIP favorisent l'apprentissage coopératif, la co-construction des savoirs et lanalyse critique. Ses nombreuses activités et publications constituent des ressources importantes pour le monde de léducation.
Née dune volonté de faire de lÉcole un lieu dapprentissage de la paix, lEIP sest employée depuis ses débuts à faire reculer les frontières de lexclusion, à promouvoir le droit à léducation et à utiliser le crayon et à rejeter le fusil pour assurer la coexistence pacifique et construire une citoyenneté démocratique.

II - Un projet dobservatoire
En 1999, lEIP a envisagé la création d un observatoire pour suivre lévolution de léducation aux droits de lhomme et à la paix dans le monde par des analyses de situations et des recherches afin de promouvoir cette éducation et den assurer à terme lintégration dans les contenus et les pratiques de lenseignement. À la même époque, le Conseil du Bureau international déducation, lors de sa quarante-cinquième session, déposait une esquisse de projet relatif à la préparation dune plate-forme déchange dinformation sur le contenu de léducation (UNESCO/BIE\C.XLV/Inf.5. Genève, le 30 décembre 1998). Ce projet voulait sinscrire dans "lune des activités de fond du BIE, dans son nouveau rôle de centre international de contenu de léducation et qui relierait entre eux les usagers potentiels de linformation éducationnelle dans le monde, à travers lutilisation des réseaux informatiques dans la collaboration à la recherche, léchange dinformation, le partage des ressources et la communication." Pendant la première phase de développement de la plate-forme, il était prévu que "la priorité serait donnée aux thèmes prévus dans le programme-cadre du BIE : léducation civique, léducation aux droits humains, les langues et les cultures, lhistoire et la géographie, et les sujets environnementaux."
Des rencontres exploratoires entre lEIP et le BIE eurent lieu dans le but déchanger de linformation sur ces deux projets respectifs. Compte tenu de lintérêt manifesté à ce moment-là par les deux organisations à légard de ces projets, il fut convenu détablir les bases dune collaboration. Celle-ci se concrétisa par la suite par un Accord-cadre signé en avril 2000. Celui-ci prévoit de faire mieux connaître aux décideurs, aux chercheurs, aux spécialistes du développement des programmes détudes et aux enseignants les politiques et pratiques éducatives relatives à léducation aux droits de lhomme, à la paix et à la citoyenneté démocratique, et contribuer à la prise de décisions, à lorientation de la recherche et à lapprentissage de vivre ensemble.
Afin de préciser le cadre des travaux à entreprendre, un séminaire conjoint dexperts fut tenu en octobre 2000. Cette rencontre permit au BIE et à lEIP de faire part de leurs représentations de la notion dobservatoire, des travaux qui pourraient sy greffer et voir comment une organisation internationale non gouvernementale et une organisation internationale gouvernementale pouvaient conjuguer leurs efforts pour mener à bien lentreprise.
Pour lEIP, le projet dobservatoire demande que des outils dobservation de la réalité, danalyse conceptuelle et dinterprétation soient construits. Cest une des raisons pour lesquelles les résultats attendus doivent plutôt sinscrire dans une perspective à moyen et à long terme plutôt quà court terme. Par ailleurs, certaines obligations ou contraintes peuvent nécessiter des réponses ponctuelles qui, sans se présenter comme parfaitement étayées, peuvent néanmoins susciter la réflexion et les échanges. Cest le cas du présent document. Il sagit dun guide dorientation qui présente des repères contextuels, conceptuels et terminologiques qui serviront de cadre pour les travaux ultérieurs que lEIP est appelée à conduire au sein de lobservatoire.

III. Une posture à développer
Après plus de trente ans dexpérience de terrain et danalyse des enjeux éducatifs, lEIP a tiré des leçons au plan de la portée et des effets de son militantisme de son engagement social et des instruments dont elle dispose pour comprendre les diverses réalités auxquelles elle a été confrontée à ce jour. Concrètement, elle sest employée au fil du temps à comparer pratiques et discours de manière à retenir comme principe premier de son action et de son analyse réflexive la capacité de poser des problèmes. Cest une posture qui se veut critique, une pédagogie qui interpelle la spontanéité de décisions fondées sur de simples accords verbaux de définitions daction nayant pas subi lépreuve du débat.
Des difficultés dinterprétation peuvent apparaître à partir du moment où les hypothèses construites tiennent lieu, de manière exclusive, de grille de lecture de la réalité, de voies dintervention sur le terrain. Il faut accepter, au plan scientifique, que lobjectivité est possiblement un point darrivée et non une vérité de départ et que sur le terrain de laction éducative, les fondements épistémologiques et les théories de lapprentissage doivent être objet de discussion, dévaluation, voire de remise en question, à la lumière de leurs effets réels sur les pratiques de lenseignement. Lhistoire contemporaine des idées sur léducation nous enseigne dailleurs à cet égard combien certaines théories en vogue à telle période ont cédé le pas à dautres, qui annonçaient un progrès dans lart et la science denseigner. Aujourdhui, par exemple, on ne parle plus guère de la théorie béhavioriste sinon pour en dénoncer leffet de conditionnement sur les attitudes, comportements et apprentissages. On évoquera plutôt, la valeur heuristique de lépistémologie socio-constructivistes et la pertinence des théories de la cognition appliquées à la formation. Quels que soient les choix épistémologies et théoriques, aucun deux nest exempt de subjectivité et pour en apprécier la valeur, il convient den observer les effets dans les multiples contextes culturels, socio-économiques dans lesquels ils opèrent.
Pour lEIP, le socio-constructivisme est une hypothèse de travail ; au plan théorique, il pose que lapprentissage est un processus dynamique et permanent de construction et dorganisation des connaissances. Dans ce sens, le réel nest pas arrêté une fois pour toute ; il ne se présente pas comme une vérité extérieure au sujet, cest-à-dire indépendante des perceptions que celui-ci peut en avoir. Ces perceptions seraient déterminées par le jeu des interactions sociales dans lequel sinscrit lélève ainsi que par le rôle décisif daccompagnateur exercé par le monde adulte, doù le terme de socio-constructivisme. Les dispositifs didactiques et pédagogiques qui découlent de cette approche visent le développement de la capacité du sujet dacquérir des compétences de plus en plus complexes, celles-ci se traduisant par laptitude à intégrer diverses dimensions dun objet de connaissance et à faire preuve desprit critique. La réforme genevoise de lenseignement, par exemple, fonde ses nouvelles orientations sur le socio-constructivisme : dans un document récent (1), il est dit que "lécole genevoise se situe plus volontiers dans une conception socio-constructiviste de lapprentissage". Dans le cadre de travaux relatifs à la didactique des mathématiques, la Commission romande des moyens denseignement souligne que "les théories actuelles sappuient sur deux concepts importants : le constructivisme et linteractionnisme" (2). Pour les degrés 7 à 9, un texte de référence soutient que lapprentissage est un processus qui se fonde sur lexpérience de lélève et se déploie de manière non linéaire par un enchaînement progressif de constructions et de réaménagements permanent des savoirs (3). Pour sa part, le Groupe de pilotage de la rénovation (4) rappelle que "Lapprentissage est une construction active de lélève qui suppose un changement, une tension, parfois des ruptures " et qu"Apprendre signifie sapproprier des savoirs, maîtriser des activités, développer des compétences."
Au plan des pratiques, le socio-constructivisme paraît avoir inspiré bon nombre de démarches éducatives (5) dans des domaines variés, notamment aux plans de lenseignement coopératif, de la pédagogie par projet, de la didactique et de lévaluation des apprentissages. Il semble aussi quil ait, entre autres, contribué ° à améliorer la performance des enfants en difficulté dapprentissage, ° à centrer léducation scientifique sur la résolution de problèmes, ° à induire la prise en compte des représentations dans la formation des enseignants, ° à développer des approches interdisciplinaires dans lenseignement.
Le socio-constructivisme ne peut cependant être tenu pour unique matrice conceptuelle dans le cadre des travaux que conduira lEIP. Les définitions dun "bon enseignant", dun "bon chercheur", dune "bonne pratique" ne sont pas réductibles à une seule et unique posture intellectuelle. Toute réflexion se nourrit dexpériences et celles-ci sacquièrent dans laction, sous une forme ou sous une autre. Laction sinscrit sur un terrain mouvant parsemé deffets de conjoncture sociaux, psychologiques, politiques, économiques, idéologiques dont les causes explicatives ne peuvent être intégralement explicitées à laide dun cadre théorique parfaitement défini. On ne peut pas savoir a priori si ces effets de conjoncture sont des indices dexpression dun système en construction ou de simples épiphénomènes. Des faits imprévus soumis à lobservation et à lanalyse peuvent dans bien des cas induire des changements dans lordre de la théorie. En outre, lenseignant ne peut faire léconomie des jugements portés par lenvironnement sur le degré de réussite des élèves ; ces jugements, comme on la écrit, sont normatifs et font appel à des valeurs et des croyances, "irréductibles à une position épistémologique ou à une psychologie de lapprentissage." (6)

IV. Points de repère
4.1 - Les réformes de léducation: vers un discours dominant ?
Fait devenu courant, du moins dans les pays riches : les États procèdent périodiquement à la réforme de leurs systèmes d'éducation. Maintenant que dans ces pays, l'accès à tous à l'enseignement est assuré et ce, depuis un bon nombre d'années déjà, voilà que les gouvernements concernés se tournent vers un "nouvel idéal", soit celui de la hausse espérée des performances scolaires des élèves par lamélioration de la qualité et de l'"efficacité" de l'enseignement. Le maître mot étant celui de lobligation de résultats.
Les réformes de léducation se révèlent très ressemblantes dans leur économie générale. Leurs objectifs sont déterminés à l'aide d'une grille de lecture transnationale singulièrement homogène. Des variantes apparaissent, certes, et qui tiennent d'un certain nombre de caractéristiques particulières comme, par exemple, la stabilité politique et la "santé" économique d'un État ou d'un continent par rapport à un autre. Mais ces "singularités" servent surtout à spéculer sur le temps de rattrapage qui sera nécessaire pour tel ou tel État de s'inscrire activement dans un processus de changement dont les orientations sont prescrites à un niveau qui les dépasse. La représentation qu'ont l'OCDE et la Banque mondiale des politiques de léducation transcende largement les particularismes nationaux et exprime une tendance vers le discours unique. Celui-ci propose un mode d'emploi d'un tracé dapprentissage qui semble déterminé à l'avance. À l'instar du "nouvel ordre économique planétarisé", ces nouvelles politiques pourraient bien laisser présager, à leur manière, l'avènement d'un "nouvel ordre éducatif mondial".
Un scénario fortement médiatisé prépare l'opinion publique à accepter l'application des récentes politiques de léducation inspirées du pragmatisme ambiant: volonté dadapter la formation aux impératifs du marché, de consolider les processus de rationalisation des dépenses publiques en éducation, de lutter contre les taux d'échecs scolaires élevés qui font grimper les coûts des mesures de réinsertion, de combler les insuffisances du bassin de compétences scientifiques et technologiques en vue répondre à la demande de l'industrie, de remettre en question les contenus de la formation des maîtres qui seraient plus ou moins bien adaptés aux nouvelles attentes.
Ce même discours propose par ailleurs de concilier la notion de rentabilité annoncée des réformes éducatives et la promotion de valeurs démocratiques: affirmation du principe de l'égalité des chances, respect et promotion de la diversité culturelle, adaptation des cycles de formation aux aptitudes et aux capacités des élèves, valorisation de l'éducation à la citoyenneté et au sens des responsabilités sociales, promotion de la participation des parents et des citoyens aux orientations de l'école, développement de compétences éthiques dans l'enseignement des technologies, pour ne nommer que celles-là.
Ces injonctions annoncent-elles une société plus juste? Ces réformes parviendront-elles à concilier les valeurs démocratiques qu'elles prétendent promouvoir à certains objectifs poursuivis qui riment avec concurrence entre les établissements denseignement, "efficacité" des investissements publics et participation accrue du secteur privé dans la formation. La place qu'y tiennent les droits de l'homme constitue-t-elle un enjeu majeur? Quels sont les effets envisageables de ces réformes sur la démocratisation de l'éducation de même que sur la réduction des inégalités socioéconomiques et culturelles ? Les réponses à ces questions ne sont pas simples. Il s'agit d'abord et avant tout d'essayer d'en comprendre le sens, d'en prendre la mesure et den analyser les effets observables.

3.2 - La situation du droit à léducation dans le monde
Lapplication pleine et entière du droit à léducation est une condition préalable pour que léducation aux droits de lhomme, à la paix et à la citoyenneté démocratique puisse se réaliser. Comme on le sait, cette condition nest remplie que partiellement puisquelle ne sapplique dans les faits quà un nombre restreint de pays - encore que là des nuances doivent être apportées. En fait, dans son extension la plus large, ce qui inclut, notamment, la prise en compte des taux dabandon prématuré des études ainsi que limpact significatif de la condition sociale sur la réussite scolaire, on peut dire que ce droit nest à ce jour intégralement appliqué nulle part dans le monde. À partir de ce constat, il est impératif aux yeux de lEIP dinscrire les travaux de lObservatoire dans un registre qui tienne compte de cette problématique.
La notion de droit à léducation en tant que droit international des droits de lhomme (7) apparaît pour la première fois, en 1948, à larticle 26 de la Déclaration universelle des droits de lhomme, adoptée par lAssemblée générale des Nations Unies le 10 décembre de la même année (8). Ce droit est réaffirmé, en 1960, dans la Convention concernant la lutte contre la discrimination dans le domaine de l'enseignement et, en 1966, dans la Recommandation concernant la condition du personnel enseignant.
Cest 18 ans après ladoption de la DUDH que le contenu du droit à léducation est exposé en détail dans larticle 13 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (9) adopté et ouvert à la signature, à la ratification et à l'adhésion par l'Assemblée générale des Nations Unies dans sa résolution 2200 A (XXI) du 16 décembre 1966.
Dix autres années sécouleront avant que ce Pacte nentre en vigueur, le 3 janvier 1976, conformément aux dispositions de l'article 27 qui stipule, notamment, que "ledit Pacte entrera en vigueur trois mois après la date du dépôt par cet Etat de son instrument de ratification ou d'adhésion."
Larticle 26 de la DUDH et larticle 13 du Pacte affirment le droit à léducation pour toute personne indépendamment de son âge. La Convention relative aux droits de lenfant, entrée en vigueur le 2 septembre 1990, stipule, en son article 28, que les États parties reconnaissent le droit spécifique de lenfant à léducation (10).
Porteuse despoirs, la Conférence de Jomtien (1990) traduisait la volonté dune éducation pour tous en lan 2000. Cet engagement na pas été tenu. Léchéance a été reportée à 2015 (11) .Pourra-t-on réunir toutes les conditions favorables pour que ce vu ambitieux se réalise ? Une compréhension de ce droit de lhomme ainsi que des difficultés qui empêchent sa mise en uvre pleine et entière à léchelle mondiale peut aider à prendre la mesure des efforts quil reste à consentir et des obstacles qui y font échec.
Le droit à léducation pour tous demeure encore aujourdhui davantage une aspiration quune réalité. De nombreuses démarches ont cependant été entreprises afin de réduire le fossé entre ceux qui bénéficient de léducation et ceux qui en sont privés. Il en a résulté dheureuses initiatives qui ont permis à des enfants davoir accès à léducation et les publications de lUnicef constituent un bon témoignage des efforts consentis à ce jour dans ce domaine. Mais cette note despoir ne dispose pas du fait que léducation demeure à ce jour une des parentes pauvres des droits de lhomme et cela, en dépit des affirmations répétées selon lesquelles léducation est un bien collectif qui doit être accessible à tous (12).
Plusieurs causes peuvent expliquer la situation problématique du droit à léducation dans le monde actuel, quil sagisse des conflits armés, du sous-développement, de la précarité des conditions sanitaires, de la malnutrition, etc. Ces causes sont complexes et interagissent les uns avec les autres dans des contextes sociaux, politiques, économiques au demeurant fort différents à léchelle planétaire. Ajoutons surtout que ces causes sont non seulement connues, mais que des solutions aux problèmes quelles entraînent le sont également. À cet égard, lUnicef écrivait récemment que des expériences récentes montrent pourtant que des ressources peuvent être dégagées avec célérité si le besoin semble assez urgent. Et ce nest pas sans ironie que le Fonds des Nations Unies pour lenfance rappelait que lorsque l'économie s'est effondrée en Indonésie, en République de Corée et en Thaïlande en 1997-1998, le G7 a réussi en quelques mois seulement à mobiliser plus de 100 milliards de dollars pour porter secours aux "tigres" financiers de l'Asie. Et lUnicef de conclure : "Imaginez ce que de telles ressources feraient pour l'éducation." (13) Par ailleurs, les travaux amorcés au sein du Comité sur les droits économiques, sociaux et culturels paraissent témoigner defforts prometteurs parce quils indiquent une volonté de dépasser les constats dimpuissance, de documenter davantage la problématique de droit à léducation et de raffermir les mécanismes de surveillance de lapplication de ce même droit. Cela ne peut que contribuer à son renforcement.
Il faut, dautre part, inscrire le droit à léducation dans un contexte mondial où la privatisation de léducation est à lordre du jour. Des formations à distance sur lInternet proposées par des entreprises privées ne sont accessibles quà ceux qui ont les moyens de se les offrir. Si, de plus en plus, ces formations accentuaient le décalage entre ceux qui disposent des moyens technologiques et ceux qui en sont privés, nous en arriverions à reproduire autrement les inégalités qui empêchent aujourdhui laccès de tous à léducation. Dans cette perspective, il ny a pas lieu dêtre très optimiste pour linstant face à limpact positif que le marché pourrait avoir sur la réalisation du droit à léducation. Le renforcement de la participation démocratique à tous les échelons de la vie en société demeure de loin la meilleure condition pour vaincre lignorance que la marchandisation du savoir. Peut-on observer des tendances qui vont dans ce sens ?

- 4.3 La construction de lien social
En toile de fond du mouvement réformiste en éducation se dégage la volonté de faire de l'école un lieu privilégié dadaptation au changement et de développement humain. La Commission internationale sur l'éducation pour le vingt-et-unième siècle, présidée par Jacques Delors (Unesco, 1996, p. 10), considère ainsi les politiques de l'éducation "comme un processus permanent d'enrichissement des connaissances, des savoir-faire, mais aussi, et peut-être surtout, comme une construction privilégiée de la personne et des relations entre les individus, entre les groupes, entre les nations" . Ce double appel à l'adaptation aux changements à l'échelle mondiale -aux répercussions locales et nationales- et à l'apprentissage du vivre ensemble a pour effet de conférer à l'éducation une fonction sociale accrue qui se reflète, notamment, par l'importance attribuée à la préparation des jeunes à l'exercice de la citoyenneté. Ce choix ne tient pas du hasard. Il tire sa raison d'être d'une analyse de contexte; il a ses fondements et ses problématiques, ses légitimations et ses objectifs.
La citoyenneté démocratique est lexpression dun lien social auquel les individus participent et consentent librement. L'établissement et le renforcement de ce lien suppose que les membres du corps social consentent à partager un certain nombre de valeurs à être discutées et privilégiées dans un espace public commun. Ces valeurs ne sont pas neutres; elles sont, entre autres, le produit de représentations diverses de la justice et du bien commun, des droits individuels et des responsabilités collectives, du rôle des institutions politiques dans une société démocratique; elles fondent en quelque sorte l'identité collective, l'espace réel et symbolique au sein duquel se construit le rapport à l'Autre; elles témoignent de repères sur lesquels se fondent la recherche du consentement mutuel et la décision partagée de vivre ensemble. Or, dans les sociétés en mutation, c'est précisément la question des repères et des valeurs qui se trouve mise en procès. Ce que l'on appelle la "crise de la modernité" entraîne justement la nécessité de procéder à un examen critique de ces repères dont l'effritement -voire la perte annoncée- soumet la cohésion sociale à de nouvelles quêtes de sens.
En l'espace d'environ un demi-siècle, les sociétés occidentales ont connu des changements considérables qui ont modifié significativement la dynamique de la vie de la cité. Les systèmes de valeurs et les idéologies se sont entrechoqués souvent avec violence; la montée de l'individualisme et l'élargissement de la sphère de la vie privée obligent à repenser le domaine de la vie publique; les politiques économiques et le développement scientifique et technologique ont provoqué des modifications substantielles aux modes d'organisation du travail; les mouvements de population et la poussée de l'immigration vers le Nord ont accentué le caractère mouvant de la notion d'identité culturelle et continuent de susciter parfois de vives réactions; l'expansion, à l'échelle planétaire, des économies transnationales a réduit le pouvoir d'influence des États sur le développement démocratique de leurs propres orientations internes en matière de développement économique et social.
Tous ces changements ont remis en cause l'assurance de pouvoir transmettre, de génération en génération, des repères stables, éprouvés dans leur bien-fondé par la génération antérieure et perçus comme gage de stabilité et de pérennité de la vie sociale dans son ensemble. Aujourd'hui, la famille, la société, l'État et les autres corps institués se voient placés devant l'obligation de gérer le changement dans la relative incertitude du lendemain.
Il n'est pas du tout surprenant que, dans ce contexte, une réflexion sur le présent et le devenir de la citoyenneté ait fait surface. Parce qu'en fait, tous ces changements continuent de s'accompagner d'inquiétudes et de remises en question cependant qu'ils sont susceptibles d'affaiblir le lien social. L'exercice de la citoyenneté démocratique suppose que les citoyens sont égaux en droits, qu'ils ont la capacité et la responsabilité de participer aux décisions dans le champ du politique comme dans celui du social, qu'ils participent à la vitalité des institutions politiques. Or, certaines réalités de notre monde contemporain paraissent faire obstacle à ces conditions d'exercice de la citoyenneté. Le principe de l'égalité en droits se voit confrontée à la réalité de formes bien tangibles d'exclusion que sont, notamment, le chômage et les licenciements, l'intolérance et la xénophobie, l'échec et l'abandon scolaires. La participation du citoyen à la chose publique est souvent entravée par sa propre ignorance de ses droits, voire de son indifférence face à la gestion des affaires de la collectivité. Il en est de même aussi pour le développement et le renforcement des institutions politiques auxquelles certains d'identifient peu ou pas du tout, par indifférence ou par manque de connaissances à leur sujet.
Le monde de l'éducation n'est pas étranger au débat, bien au contraire. La préparation à la vie active se trouve au centre des nouvelles politiques éducatives. Celles-ci témoignent de l'importance de concilier les objectifs et les contenus de l'éducation à la promotion de la citoyenneté. Quen est-il dans les faits ?

V. Expressions et termes structurants
Les références qui ont servi à constituer le présent corpus proviennent principalement des écrits du réseau dexperts de lEIP et du système des Nations Unies, particulièrement le BIE. Il faut voir cette première ébauche comme une grille de lecture pouvant conduire à lélaboration doutils conceptuels nécessaires au développement des travaux que lEIP est appelée à réaliser. Dans un premier temps, nous nous sommes limités à des termes et à des expressions contenus dans lAccord cadre, à savoir : Apprendre à vivre ensemble, Curriculum, Éducation à la citoyenneté démocratique, Éducation à la paix, Éducation aux droits de lhomme, Formation des maîtres, Indicateurs, Innovation, Politiques éducatives.

- 5.1 Apprendre à vivre ensemble
Il ne suffit plus dapprendre à bien lire, bien écrire et bien compter ; lapprenant doit aussi apprendre à être, à faire, à apprendre, et à vivre ensemble tels furent les propos tenus il y a déjà près de cinq ans par la Commission Delors sur léducation pour le XXIème siècle (14).
Comme lécrit Françoise Lorcerie, apprendre à "vivre ensemble", cest apprendre à entrer dans des pratiques de coopération avec autrui, et à développer des sentiments de sympathie à son égard, - tout autrui avec qui nous partageons notre présent. Cest aussi apprendre, mentionne-t-elle, à sengager à ses côtés. Lécole, certes, nest pas la seule institution à devoir transmettre ces apprentissages. Mais, dans nos sociétés modernes, ajoute lauteure, il est vrai quelle a en propre le mandat de les assurer. Car lécole est tenue pour la matrice de la société civile et politique, elle est chargée dassurer à la fois la continuité de la société et son renouveau, nous dit Lorcerie (15).
C'est particulièrement "la finalité de socialisation" de lécole et celle de la "préparation à l'exercice des rôles sociaux" qui invitent à une réflexion plus élaborée sur les valeurs à privilégier dans le système scolaire.
Le Bureau international déducation, lors de la Conférence marquant sa 44ème Session internationale tenue à Genève, en octobre 1994, a adopté une Déclaration et soumis un projet de Cadre d'action qui concernent le domaine des valeurs. L'article 2.4 de cette Déclaration vise à "accorder une attention particulière à l'amélioration des programmes d'enseignement, des contenus des manuels scolaires et des autres instruments didactiques, y compris les nouvelles technologies, en vue de former un citoyen solidaire et responsable qui présente une ouverture sur les autres cultures, capable d'apprécier la valeur de la liberté, respectueux de la dignité humaine et des différences, et capable de prévenir les conflits et de les résoudre par des voies non violentes;". Le paragraphe 8 du Cadre d'action souligne que "L'éducation doit développer la capacité de reconnaître et d'accepter les valeurs qui existent dans la diversité des individus, des sexes, des peuples, des cultures et de développer la capacité de communiquer, de partager et de coopérer avec "l'autre"".

- 5.2 Curriculum
Dans la francophonie, ce mot a été longtemps synonyme de "programmes scolaires". Par ailleurs, une autre acception du terme, inspirée de la littérature pédagogique anglo-américaine, est aujourdhui fréquemment utilisée. Ainsi, le curriculum peut être entendu comme lensemble structuré des expériences denseignement et dapprentissage, ce qui inclut les programmes détudes, mais également les textes prescriptifs tels que les directives, le régime pédagogique, les matériels pédagogiques, les tests et examens, les épreuves de fin de cycle, les moyens dévaluation formative et sommative, la réglementation scolaire.
Dans le domaine de léducation à la paix, "Les écoles peuvent aussi décider de revoir leurs programmes actuels et de recenser les matières où les thèmes et les éléments de léducation pour la paix figurent déjà. En imprimant une optique différente à un plan de cours, lenseignant peut aider les élèves à identifier ces thèmes et à en apprendre davantage par la discussion et la recherche. Lélève peut alors mener à bonne fin ces expériences dapprentissage et mieux apprécier la nécessité dun comportement pacifique dans la vie quotidienne en société (16)
Par ailleurs la notion de curriculum couvre un champ plus large que les aspects formels de lenseignement. Pour exprimer dautres réalités dans lesquelles sinscrit lapprenant, on a recours aux notions de curriculum informel et de curriculum caché.
Les activités éducatives et les contenus denseignement non prescrits et non prévus dans le cursus scolaire de base appartiennent au curriculum informel. À titre dexemple, Les activités extracurriculaires ou parascolaires peuvent mettre en lumière les thèmes et les composantes dun programme déducation pour la paix comme, par exemple, la participation des élèves et des enseignants à des activités des Nations Unies ou leur adhésion à des organisations militantes sur le terrain (par ex. des ONG). Les conseils des délégués de classe, les programmes consultatifs peuvent aussi fournir loccasion dans la vie parascolaire de promouvoir les principes de la coexistence pacifique (BIE, supra).
Selon le Conseil de lEurope, le terme de "curriculum caché" désigne lensemble des situations quotidiennes, naturelles et spontanées qui surviennent dans la vie de lécole. Elles ne sont pas organisées ou provoquées par les enseignants, mais englobent tous les évènements ordinaires qui ont lieu en milieu scolaire : situations de communication et de collaboration, lutte pour le pouvoir, défi à lautorité, conflits, négociations, amitiés, situations dinjustice et de discrimination. Le curriculum caché comprend ainsi: lapprentissage non académique (attitudes, valeurs, normes, identités, dispositions ou messages implicites de lenvironnement social scolaire) ; lapprentissage implicite soutenu par lenvironnement scolaire existentiel (contrairement au curriculum manifeste ou voulu, qui provient de lenvironnement scolaire cognitif) ; la culture organisationnelle ou les arrangements interpersonnels dans lesquels seffectue la scolarisation : relations sociales, modèles comportementaux dominants, symboles, types de comportements personnels, façons de se présenter, image de soi, identification culturelle ; linfluence éducative inconsciente, imprévue et non intentionnelle, par opposition à linfluence écrite, prévue et délibérée exercée à lintérieur du curriculum manifeste (17) .
Tant les curricula formel, informel que caché proposent des valeurs explicites ou implicites qui ont une incidence sur la construction de la vie démocratique et le respect des droits de lhomme. À cet égard, il convient de voir, par exemple, si des manuels scolaires contiennent des stéréotypes sexistes ou sils promeuvent légalité entre les hommes et les femmes. Le projet éducatif de lécole encourage-t-il lapprentissage du "vivre-ensemble" ? Les attitudes déducateurs sont-elles ou non discriminatoires vis-à-vis des élèves appartenant à des minorités ethniques, linguistiques ou religieuses ?

- 5.3 Éducation à la citoyenneté démocratique
Léducation à la citoyenneté démocratique vise à rendre la personne consciente de ses droits et de ses obligations vis-à-vis autrui et la collectivité en général. Elle suggère également que, dans son rôle de former des personnes autonomes, l'école prépare à l'exercice d'une citoyenneté active par le développement de l'esprit critique et lécoute de lautre. Cette éducation invite à la maîtrise de compétences permettant d'exprimer la capacité de défendre et de promouvoir les valeurs démocratiques et les droits de la personne à l'intérieur de l'établissement scolaire comme dans la société en général, de se préparer à participer activement au fonctionnement des institutions démocratiques, de faire preuve de solidarité sociale, de compréhension internationale et interculturelle. Cette éducation renvoie aussi à la connaissance des règles de la vie commune, à la compréhension des relations que les personnes entretiennent entre elles et avec l'environnement, à l'influence des médias dans le processus de construction de re-présentions de la vie en société. Elle fait également place à l'histoire des idées et des rapports entre États, peuples et nations. Elle s'inscrit dans une dynamique d'inclusion sociale faisant de ses contenus et de ses activités un lieu de rencontre et de partage des valeurs de la démocratie, de la paix et des droits de lhomme.
Les travaux portant sur les approches d'éducation à la citoyenneté sont nombreux et diversifiés. Ce qui importe également de signaler, c'est la tendance observée à décloisonner cette éducation en l'intégrant le plus possible dans l'ensemble des activités éducatives. Jusqu'à il n'y a pas longtemps, il s'agissait d'inscrire au programme d'études des cours d'"instruction civique" puis, par la suite, d'éducation civique. Les disciplines porteuses de cette formation étaient généralement limitées à l'histoire et à la géographie. Ces cours ont longtemps été presque uniquement des moyens d'alphabétisation institutionnelle, c'est-à-dire qu'ils se centraient sur la connaissance des institutions politiques et administratives ainsi que de leur fonctionnement, des lois et des constitutions nationales, surtout. Bien que cette approche ne soit pas sans intérêt pour ce qui est du développement de lesprit civique et du sens de la territorialité, il convient par ailleurs de mentionner que de plus en plus, l'éducation à la citoyenneté recouvre un champ beaucoup plus large de savoirs, d'attitudes et de comportements à acquérir. C'est ainsi que des nouveaux programmes déducation à la citoyenneté tendent à investir à la fois les domaines des connaissances formelles, de l'éducation aux valeurs ainsi que des liens transversaux à établir entre ces dimensions de l'apprentissage et la vie scolaire en général. Dès lors, cette éducation invite à transcender les frontières nationales pour aborder lémergence de nouvelles formes de citoyenneté basées sur dautres repères identitaires tels ceux, par exemple, de citoyenneté européenne et de citoyens du monde.

- 5.4 Éducation à la paix
Si "Il est scientifiquement incorrect de dire que la guerre ou toute autre forme de comportement violent soit génétiquement programmé dans la nature humaine" (18) , que les conflits sont des constructions sociales, alors il est possible d"élever lhomme", à ériger dans son esprit les défenses de la paix par léducation : "moins de fusils, plus de crayons", semployait à répéter le fondateur de lÉcole instrument de paix, Jacques Mühlethaler.
La paix est donc possible si on apprend à lenfant à réguler ses comportements en partageant et en respectant les principes, les règles et les valeurs qui permettent la résolution pacifique des conflits et qui privilégient la négociation et le dialogue plutôt que la confrontation. Les recherches qui traitent de la violence à lécole semblent indiquer, daprès Véronique Truchot, que les établissements scolaires qui sont le plus aux prises avec ce phénomène, sont des écoles où la parole ne circule pas ou ne circule plus. Ce nest pas par hasard, dajouter V. Truchot, si les politiques de prévention de la violence en milieu scolaire préconisent la mise en place de "lieux de participation et de dialogue devant favoriser une éducation par lexpérience, mais aussi améliorer le climat des classes et des établissements (19).
Dans son Programme cadre de L"Éducation pour la paix" lUnesco énonce les principes suivants :
1. chaque membre de la société doit respecter les valeurs inhérentes au bonheur de lhomme, telles que la justice, la liberté, la responsabilité, légalité, la dignité, la sécurité, la démocratie et la solidarité ;
2. il peut devenir un participant actif dans la communauté locale [et au sein de la société en général], sengager à favoriser lharmonie à léchelle mondiale et accepter la diversité de lhumanité ;
3. il doit agir sur le plan individuel et sur le plan communautaire pour protéger la planète afin de garantir aux générations futures le droit à un avenir durable.
Pour appliquer ces principes, nous dit lUnesco, il faut dabord reconnaître que les relations pacifiques sont indispensables à tous les niveaux : personnel, familial, communautaire, interculturel et mondial. Selon le Programme cadre, tous les peuples devront donc, grâce à léducation, acquérir des connaissances et des compétences particulières qui influeront sur le comportement des individus et des groupes. Le Programme cadre servira de modèle aux programmes denseignement formel et informel de lécole. Ce faisant, l"Éducation pour la paix " doit envahir tous les aspects de la vie scolaire, en impliquant les apprenants, les enseignants et les administrateurs. Elle dépassera le cadre scolaire pour embrasser la société toute entière(20).
L'une des caractéristiques de l'éducation à la paix est sans doute sa faculté de s'intégrer de manière transversale dans les différents cursus. Cette éducation influe ainsi sur toutes les matières enseignées et sur les autres domaines de connaissances et d'expériences. Celles-ci prennent toute leur signification du fait que l'éducation à la paix peut toucher de très près la vie quotidienne de chacun..

- 5.5 Éducation aux droits de lhomme
Léducation aux droits de lhomme fait appel à la notion de droits. Ceux-ci, souligne Yves Lador, ont un contenu précis, qui fait référence à un corpus national et international de notions codifiées dans les lois nationales et les traités internationaux. Dans toute éducation aux droits de lhomme, ces éléments doivent être pris en considération. Ce sont eux qui donnent sens et spécificité à cette éducation (21).
Toute personne est sujet de droit. Ce statut est ainsi celui de tous les membres d'une communauté scolaire. Il fonde la relation avec lAutre et les institutions. L'éducation aux droits de l'homme rappelle que le processus d'apprentissage doit permettre aux élèves de comprendre leur qualité de citoyen en la cultivant déjà dans l'école et dapprendre à vivre ensemble dans une société démocratique (22).
Léducation aux droits de lhomme à lécole suppose que le climat qui y règne soit propice à son développement. Elle suggère également que les enseignants en maîtrisent bien lintention et les repères juridiques. Comme lécrit Monique Prindezis, une éducation qui ferait simplement allusion aux grands principes moraux sans présenter leur traduction dans les normes juridiques et des instruments dapplication, ne pourrait être considérée comme une éducation aux droits de lhomme. La connaissance des textes garantissant les droits et les usages que lon peut en faire est un élément fondamental dune éducation aux droits de lhomme (23). Cest dans cette perspective que les ministres de léducation décidèrent, lors de la quarante-quatrième session de la Conférence internationale de léducation, en 1994, à développer leurs efforts en vue de mettre les instruments internationaux reconnus dans le domaine des droits de lhomme à la disposition de toutes les institutions éducatives. La même année, les Nations Unies proclamaient la Décennie de léducation aux droits de lhomme, qui vise à construire une culture universelle des droits de lhomme par la formation, la sensibilisation et la diffusion de linformation en matière de droits de lhomme.
Les droits de lhomme font appel à de multiples concepts qui justifient une approche pédagogique pluridisciplinaire (24). Ainsi en est-il de la dignité de la personne humaine, de légalité devant la loi, de la responsabilité individuelle et collective, de la liberté d'expression et d'association, etc. Ce sont autant de références qui cherchent à dire notre place dans l'histoire comme dans la vie de tous les jours, dans nos activités scientifiques et littéraires comme dans l'expression artistique ou la vie associative. L'apprentissage de ces concepts permet la construction d'un langage commun, indispensable pour poser les bases d'une discussion fondée sur la réciprocité.
La compréhension de concepts relatifs aux droits de la personne ne doit cependant pas s'apparenter à une entreprise d'abstraction. Les droits humains s'apprennent dans la pratique et visent à éveiller l'esprit critique. Cette compréhension suppose aussi la capacité de comprendre les représentations culturelles diverses auxquelles donne lieu l'analyse de concepts (25).

- 5.6 Formation des maîtres
La formation et la préparation des jeunes à leur insertion réussie dans la société dépend dans une très large mesure de la qualité de la formation qu'ils auront reçue. À cet égard, comme le souligne la Commission internationale de l'Unesco sur l'éducation pour le vingt et unième siècle, "pour améliorer la qualité de l'éducation, il faut d'abord améliorer le recrutement, la formation, le statut social et les conditions de travail des enseignants, car ceux-ci ne pourront répondre à ce qu'on s'attend d'eux que s'ils ont les connaissances et les compétences, les qualités personnelles, les possibilités professionnelles et la motivation voulue." (26)Les membres de cette Commission, présidée par Jacques Delors, ajoutent que le monde dans son ensemble évolue aujourd'hui si rapidement que les enseignants, comme les membres de la plupart des autres professions, doivent désormais admettre que leur formation initiale ne leur suffira pas pour le restant de leur vie: il leur faudra, tout au long de leur existence, actualiser et perfectionner leurs connaissances et leurs techniques. C'est ce que l'Organisation pour la coopération et de développement économique (OCDE) appelle le renforcement des bases de l'apprentissage à vie.
Lors de la 45e Conférence internationale de l'éducation de l'Unesco tenue, en 1996, sous le thème du "renforcement du rôle des enseignants dans un monde en changement", de nouveaux défis problématiques furent l'objet d'une attention particulière. Au nombre de ceux-ci, signalons particulièrement la connaissance et l'intégration dans l'enseignement des enjeux mondiaux. Cette approche de léducation sapparente à la notion déducation internationale telle que définie par l'Unesco dans la Recommandation sur l'éducation pour la compréhension, la coopération et la paix internationales et l'éducation relative aux droits de l'homme et aux libertés fondamentales adoptée par ses États membres en 1974. Comme l'indique le chapitre de cet instrument international consacré à la signification des termes, le mot éducation désigne un processus global par lequel peut être rendu possible la prise en compte indivisible des grands enjeux contemporains. Et l'on retrouvera ce même fil conducteur, notamment dans une recommandation et une déclaration émanant respectivement du Bureau international déducation et de la Conférence internationale de l'Unesco sur l'éducation (27). Dans ces textes, on notera cette invitation à intégrer les enjeux de la vie contemporaine dans les contenus de formation initiale et continue des enseignants.
Dans ces textes, on notera cette invitation à intégrer les enjeux de la vie contemporaine dans les contenus de formation initiale et continue des enseignants.
Un peu partout dans le monde, les réformes scolaires en cours proposent des modifications aux contenus de l'enseignement. Pour les enseignants déjà en exercice, la maîtrise de nouveaux contenus curriculaires laisse supposer une nécessaire mise à jour des compétences acquises par une formation continue appropriée: " Les enseignants en exercice devraient se voir offrir régulièrement l'occasion de se perfectionner grâce à des session de travail en groupe et des stages de formation continue", insiste-t-on (28). Les enseignants, écrit-on dans le Rapport Delors, sont donc aussi concernés par cet impératif d'actualisation des connaissances et des compétences. Leur vie professionnelle doit être aménagée de telle sorte qu'ils soient en mesure, voire qu'ils aient l'obligation, de perfectionner leur art et de bénéficier d'expériences menées au sein de diverses sphères de la vie économique, sociale et culturelle (29).Et il est permis de supposer que des aspects importants des réformes en cours influeront sensiblement sur la formation des enseignants bien qu'on ait observé que, dans certains contextes, la mise à jour des compétences n'entraînaît pas toujours des changements réels quant à la qualité et à l'efficacité des services éducatifs (30). Pour pallier cette difficulté, des auteurs recommandent de prendre en considération la réalité des contextes variés dans lesquels oeuvrent concrètement les enseignants et ce, en vue de faire correspondre le mieux possibles l'acquisition de nouvelles compétences aux caractéristiques de l'environnement scolaire (31). Mais les nouveaux enjeux relatifs à la qualification ne commandent pas uniquement une prise en considération des besoins locaux, mais également un approfondissement pour l'ensemble des enseignants de nouvelles méthodes qui permettent de développer une vue d'ensemble des nouveaux défis éducatifs par le biais, par exemple, des compétences transversales et d'une approche transdisciplinaire de l'enseignement. À ce sujet, il semble qu'un certain nombre d'obstacles -qui semblent tenir parfois de la résistance des enseignants eux-mêmes au changement- devront être levés. Et c'est d'abord en amont que la question se poserait: " La formation des formateurs est le problème le plus redoutable de l'enseignement transdisciplinaire", souligne-t-on (32).
Au cloisonnement disciplinaire dont la formation initiale et continue des enseignants a longtemps été lobjet, il conviendrait dy privilégier davantage une approche qui puisse favoriser une lecture transversale des enjeux, lanalyse de la complexité et lintégration des apprentissages dans lacte denseigner. À cet égard, une formation des enseignants à léducation aux droits de lhomme, à la paix et à la citoyenneté démocratique nest pas réductible à une seule matière scolaire ni à un seul champ dactivités scolaires bien circonscrit. Elle sinscrit plus largement dans cet ensemble complexe des représentations que lhumain se fait de son semblable et des relations quil construit avec lui au fil du temps. Ce quil nous faut, écrivait déjà Jean Piaget, en 1931, cest une attitude intellectuelle et morale nouvelle, faite de compréhension et de coopération, qui sans sortir du relatif atteigne lobjectivité par la mise en relation des points de vue particuliers eux-mêmes(33).

- 5.7 Indicateurs
Les système éducatifs se dotent dindicateurs divers pour en évaluer les performances, permettre un état des lieux ainsi que des comparaisons. Il est admis que la construction de bons indicateurs, garants de fiabilité, sont des sources indispensables pour évaluer des états de situations à un moment donné, comme le taux de fréquentation et de réussite scolaire, par exemple, et de pouvoir prendre des mesures appropriées en vue den augmenter la progression, là où la situation est jugée problématique.
Selon Paul Hunt (34), la communauté internationale devra retenir quelques indicateurs clés du droit à l'éducation, parmi lesquels : ° la part en pourcentage des dépenses consacrées aux établissements d'enseignement dans le PIB; ° le montant des dépenses annuelles par élève/étudiant dans l'enseignement primaire, secondaire et supérieur; ° le taux d'alphabétisation. Lauteur précise que dans la mesure où les dispositions du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et celles de la Convention relative aux droits de l'enfant se recoupent, il faudrait que le Comité des droits économiques, sociaux et culturels et le Comité des droits de l'enfant utilisent les mêmes indicateurs clés du droit à l'éducation. Bien entendu, ajoute-t-il, du fait des différences de libellé entre les divers instruments relatifs aux droits de l'homme, certains indicateurs peuvent ne pas s'appliquer dans tous les cas. En ce qui concerne les institutions spécialisées, le droit à l'éducation relève du mandat de plusieurs d'entre elles, comme on l'a vu ci-dessus. Ainsi, en vue d'identifier des indicateurs relatifs à l'éducation, une collaboration entre les institutions compétentes est hautement souhaitable. Enfin, Paul Hunt écrit que le fait de tenter de définir des indicateurs clés du droit à l'éducation revient en un sens à convenir d'un nouveau vocabulaire de base pour parler des droits de l'homme. Si chaque organe conventionnel formule des indicateurs différents en matière d'éducation, une importante occasion d'élaborer un nouveau langage commun particulièrement utile dans le contexte des droits économiques, sociaux et culturels aura été manquée. Cette terminologie de base doit allier cohérence et simplicité, faute de quoi il sera difficile d'en généraliser l'emploi.
On peut aussi avoir recours à des indicateurs qualitatifs qui permettent dévaluer des situations dapprentissage en classe. Par exemple, dans le domaine du vivre ensemble, des indicateurs de stratégies préventives et de remédiation peuvent être développés utilement (35). . Dans le premier cas, il sagirait, par exemple, dapprécier la qualité de laménagement intérieur de la classe et les attitudes de lenseignant qui favorisent le travail coopératif et la bonne entente [ce qui sapparente à lapproche Child Friendly de lUnicef (36); dans le second, il sagirait de favoriser la prise de parole des élèves et davoir recours à moyens et techniques de résolution de conflits qui tiennent compte des droits et des obligations de tous.

- 5.8 Innovation
Selon des spécialistes de la formation en enseignement innover, ce serait le fait dintroduire quelque chose de nouveau, dans un contexte donné. Les milieux éducatifs les plus sains, écrit-on, sont souvent les plus novateurs; ils suivent de plus près les interactions entre enseignantes ou enseignants et élèves et ont tendance à essayer de les modifier afin qu'elles servent le mieux possible leur objectif d'enseignement. Ce sont des milieux doués d'une "adaptabilité élevée", plus réceptifs aux idées pédagogiques nouvelles. Ils tendent à croître, à se développer et à changer au lieu de se borner à observer la routine et la norme, particulièrement devant la manifestation d'un symptôme de problème. Plutôt que de fuir celui-ci, les éducatrices et éducateurs de tels milieux ont tendance à chercher à diminuer l'écart entre la situation observée et la situation souhaitée et à chercher des solutions nouvelles. Et pour ce faire, ils possèdent une aptitude à identifier et à résoudre ces problèmes de façon durable, au prix d'une dépense minimale d'énergie(37).
Le concept dinnovation soppose à celui de rigidité. La résistance au changement empêche lexpérimentation de nouvelles pratiques éducatives. Des contenus denseignement trop normatifs interdisent ladaptation de lenseignement à la diversité des situations dapprentissage. Linnovation remet en question le conformisme pédagogique qui réduit lacte denseigner à des automatismes et à des schémas préconçus illustrant ce que doivent être les "bonnes méthodes". Linnovation nécessite de la flexibilité et fait davantage place à la vie des jeunes dans les établissements déducation (38). Et linnovation serait de plus en plus présente dans les écoles où le savoir sort de son sanctuaire, est relativisé et où ce qui est recherché est de posséder des attitudes mentales et sociales susceptibles de juger, de raisonner et de savoir séparer la fausseté de vérités à travailler (39).
Dans le domaine de léducation aux droits de lhomme, à la paix et à la citoyenneté démocratique, linnovation sinscrit non pas seulement dans un processus dapprentissage formel, mais dans une démarche active de socialisation politique. Nombre dexpériences positives à cet égard ont été réalisées un peu partout dans le monde, comme en témoignent, notamment, deux publications récentes (40).

- 5. 9 Politiques éducatives
On peut attribuer à la notion de politique éducative le sens dune orientation par lÉtat des finalités, des objectifs et des contenus de son système éducatif. Ces politiques peuvent concerner plusieurs secteurs : léducation préscolaire et lenseignement primaire et secondaire ; la formation des adultes et léducation permanente ; la formation universitaire et continue des enseignants ; etc.
La mise en uvre des nouvelles politiques éducatives soulève, par ailleurs, la question des inégalités. Pour Lynn Davies (41), par exemple, une réforme du curriculum dans tel pays dont les écoles sont inégalement approvisionnées en ressources aura peu d'effet en termes d'équité si cette même réforme ne s'accompagne pas d'une redistribution des argents de manière à soutenir davantage les milieux défavorisés. Pour Davies, les tensions et les ambiguïtés observées résultant des réformes éducatives peuvent être analysées sous l'angle des droits de l'homme et des enjeux pour la démocratie. À cet égard, poursuit-elle, il faut noter que les enjeux majeurs tournent autour des tensions opposant centralisation et décentralisation, offre et demande, discrimination et non-discrimination. Dans plusieurs cas, ajoute-t-elle, les populations sont écartées des décisions à prendre. Toujours est-il que pour les fins de l'analyse, lauteure propose que lon qualifie les réformes en cours de "progressistes" ou de "régressives" à partir des critères comparés et présentés dans le tableau qui suit.
RÉFORMES
|
POSITIVES/PROGRESSISTES
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NÉGATIVES/RÉGRESSIVES
|
Compétences à acquérir
|
Bonnes conditions d'apprentissage accessibles à tous
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Insistance sur la mesure des apprentissages; évacuation d'enjeux sociaux et des droits de l'homme
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Autonomie financière de l'établissement
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Démocratie participative des usagers
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Compétition entre les établissements.Sélection/élimination des élèves. Absence de pouvoir des communautés locales
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Reddition des comptes
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Transparence; délégation d'autorité;partage équitable des ressources
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Surveillance; pouvoirs occultes des autorités
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Responsabilisation des acteurs
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Plus grande participation de la communauté
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Inégalités entre familles, savoir et pouvoir, hommes et femmes
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Rendement
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Redistribution équitable des ressources
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Secondarisation des enfants et des écoles défavorisés
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Décentralisation de la prise de décision
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Droits et besoins de la communauté pris en compte
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Ignorance de droits de catégories vulnérables
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Curriculum national
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Meilleure équité pour tous
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Négation de l'autonomie professionnelle des enseignants et des caractéristiques particulières des élèves
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Pour Louis Legrand (42), cest la tâche ingrate et nécessaire de la réflexion politique sur le système éducatif que de mettre en lumière les tensions et les dysfonctionnements en suscitant la réflexion, voire la contestation, et en suggérant dhypothétiques solutions. Ces dernières, ajoute-t-il, verront peut-être un jour leur réalisation par la force latente des évolutions dinfrastructures. Elles rappelleront, en tout cas, souligne-t-il, les nécessités éthiques à poursuivre, sans lesquelles une politique risque de nêtre quune gestion à la petite semaine. Le sort de lhomme de demain vaut certainement de sintéresser à de nécessaires utopies, de conclure lobservateur.
Le grand objectif mondial des politiques éducatives se doit dassurer à tous le droit à léducation. Larticle 26 de la DUDH et larticle 13 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels affirment ce droit à léducation pour toute personne indépendamment de son âge. La Convention relative aux droits de lenfant, entrée en vigueur le 2 septembre 1990, stipule, en son article 28, que les États parties reconnaissent le droit spécifique de lenfant à léducation.
Il ressort également que les politiques de léducation se doivent aussi dassurer la qualité des contenus de léducation, à la lumière des objectifs visés par lOrganisation des Nations Unies : léducation doit viser au plein épanouissement de la personnalité humaine et du sens de sa dignité et renforcer le respect des droits de lhomme et des libertés fondamentales. En outre, cette léducation doit mettre toute personne en mesure de jouer un rôle utile dans une société libre, favoriser la compréhension, la tolérance et lamitié entre toutes les nations et tous les groupes raciaux, ethniques ou religieux et encourager le développement des activités des Nations Unies pour le maintien de la paix.
VI. Conclusion
Ces quelques éléments de réflexion seront proposés aux membres du réseau de lEIP en tant que matériaux devant faire lobjet de discussions et de formations. Létablissement de liens entre les pratiques de terrain et la recherche théorique sera privilégié de manière à favoriser au maximum la coopération entre les intéressés.
La mise sur pied de cet observatoire est une entreprise qui devra se développer dans un esprit pragmatique. Lavancement des travaux dépendra pour beaucoup des moyens dont lEIP pourra disposer, notamment aux plans de la logistique et du financement.
Suite

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