L'école et les valeurs démocratiques

Tiré de: Valeurs démocratiques et finalités éducatives Collection Thématique n°4, Centre international de formation à l’enseignement des droits de l’homme et de la paix (cifedhop), Genève, 1996.

Par Véronique Truchot

L'auteure jette un éclairage sur la mission de l'école dans son rôle de formatrice de citoyens responsables, capables de discernement, ayant l'esprit critique et habilités à faire des choix fondés sur des valeurs démocratiques. L'auteure s'emploie également à cerner des obstacles auxquels se heurte une éducation à la citoyenneté et à la démocratie participative et pluraliste. L'analyse de ces impedimenta devrait aider à dégager des pistes possibles d'action pour que l'établissement scolaire participe de fait à l'émergence d'une société plus juste.

 

(Photo UNICEF)

 

Mot fatigué, mais idée neuve [1] qui relève plus de l'utopie que de la réalité, la démocratie reste à construire. L'idée est généreuse, mais son actualisation suppose que les membres de la société consentent à participer aux débats du temps et reconnaissent le droit pour chacun d'élaborer son propre jugement et de manifester intelligence et sens critique  [2]

L'éducation étant la pierre angulaire de cette patiente construction, on comprend dès lors les défis posés à l'école face aux enjeux que représente la participation dans le processus démocratique.

Un état de
la situation

D'entrée de jeu, il importe de rappeler que la démocratisation de l'enseignement s'est en quelque sorte confondue avec ce qu'il est convenu d'appeler la massification.

En Occident du Nord, la presque totalité des enfants sont scolarisés. Mais l'accès de tous à l'école suffit-il à garantir la démocratie? La réponse est non, si " cette démocratisation quantitative de l'enseignement s'accompagne d'un accroissement important de la ségrégation interne [3]

On doit ainsi distinguer l'accès à la scolarisation de l'égalité des chances. A cet égard, on constate que les inégalités sociales se reflètent dans les parcours scolaires: les élèves d'origine populaire se voient relégués dans des filières dont on sait qu'elles ne sont pas un gage d'ascension sociale [4] . Il suffit d'observer le taux de réussite aux examens en fin de secondaire, dans les pays dont on vante la démocratie, pour comprendre qu'aller à l'école est une chose et réussir sa scolarité en est une autre. L'école serait-elle un moteur d'exclusion? La question est complexe et appelle à une réflexion sur sa mission.Haut de page

La mission
de l'école

La démocratie renvoie à la possibilité pour chacun d'assumer ses responsabilités. Le citoyen doit être en mesure de faire des choix éclairés dans l'intérêt de l'ensemble de la communauté. Un tel projet impose que l'école occupe une place centrale dans le processus de formation du futur citoyen. Le souhait de voir celle-ci contribuer à l'avènement d'une société démocratique (juste, libre, responsable) ne doit pas en rester au stade de l'intention généreuse: il doit se transformer en une volonté clairement exprimée pour avoir des chances de s'actualiser. Dans cet esprit, la reconfiguration de la mission de l'école doit figurer à l'ordre du jour.Haut de page

Même si elle est loin d'être effective, la garantie des droits fondamentaux pour tous doit servir de repères et guider nos choix. Outils tangibles, les instruments internationaux sont le point d'ancrage d'une éducation aux valeurs démocratiques. On aborde ici un terrain ordinairement peu familier aux enseignants, soit celui du droit international des droits de l'homme. Aussi rébarbatif que puisse paraître le "monde des lois", sa connaissance et la maîtrise des termes et des concepts juridiques de base n'en sont pas moins incontournables : " pas de démocratie sans loi ". Dans cette perspective, l'éducation aux droits de l'homme devrait faire partie intégrante de la mission de l'école. Cette préoccupation n'est pas nouvelle. Elle a amené Jean Piaget, en 1967, à soutenir, notamment, la création de l'Association mondiale pour l'école instrument de paix (ÉIP) dont l'une des innovations pédagogiques a consisté à rendre le texte de la Déclaration universelle des droits de l'homme [5] accessible à tous et à toutes, dans le but d'encourager le développement de l'éducation aux droits de l'homme dans les écoles. Par ailleurs, on retrouve, dans plusieurs textes internationaux, ce souci de promouvoir en priorité une telle éducation. En témoignent les orientations de bon nombre d'organisations internationales dont l'Unesco [6] le BIE [7] , le Conseil de l'Europe [8] , notammentHaut de page

Instruire

Force est de constater que la mission d'instruire impartie à l'école s'est élargie, ces dernières décennies, aux domaines du social et du psychologique. L'idée fort répandue selon laquelle l'école doit viser le développement intégral de l'enfant témoigne de ce tournant qui n'a cependant pas suffit à former des citoyens, au sens où nous l'entendons. Dans plusieurs cas, cet élargissement s'est produit au détriment du développement intellectuel qui demeure, malgré tout, la finalité première de l'école. De telles dérives sont dangereuses si l'on considère que la démocratie repose sur des connaissances et des habiletés sans lesquelles il est impossible de comprendre le monde.Haut de page

Si, d'autre part, on convient que l'école doit servir de levier à l'émergence d'une société démocratique, il devient clair qu'à la mission d'instruire vient tout naturellement s'ajouter celle de socialiser. La socialisation, c'est apprendre à vivre bien ensemble, dans le respect des règles sociales communes et dans le souci de promouvoir les valeurs de justice, de liberté et de responsabilité. Socialiser, c'est ainsi préparer les élèves à exercer leurs futurs rôles sociaux. Cet exercice passe par une pratique de la participation dans cette micro-société qu'est l'école, laquelle devient un milieu de vie stimulant qui incite à la prise d'initiative où chacun peut développer sa créativité et cultiver son esprit critique.

Dans nos sociétés pluralistes, la socialisation invite à parler également d'éducation interculturelle. Au sens où nous l'entendons, une telle éducation vise à développer des attitudes et des comportements respectueux de la différence, dans un esprit d'ouverture et de partage. A une époque où l'on observe partout dans le monde une montée du racisme, de la xénophobie et de l'intolérance, il est plus que jamais urgent de former des esprits capables de comprendre que la diversité apporte la richesse du métissage. Haut de page

S'il est relativement simple de faire consensus sur l'importance de l'école dans la construction de la démocratie, la question du "comment la construire" soulève des débats qui renvoient aux valeurs fondamentales de la démocratie. Un sujet sensible puisqu'il va au cœur même de ce qui anime chacun d'entre nous, que nous en soyons conscients ou pas. Nous ne reviendrons pas sur les controverses qui entourent la question de l'universalité des valeurs [9] et admettrons que certaines d'entre elles sont incontournables quand on parle d'une démocratie participative et pluraliste: justice, liberté et solidarité. Chacune de ces valeurs renvoie à d'autres qui les prolongent en retour; ainsi, la justice suppose l'équité, la liberté implique la responsabilité et la solidarité entraîne l'engagement. Une fois proclamées, ces valeurs devraient présider aux choix des moyens à mettre en œuvre pour rendre effective la démocratie dans une société plurielle.Haut de page

C'est sur les valeurs que se fondent les politiques éducatives d'une société. Si celle-ci est démocratique, la justice, la liberté et la solidarité devraient alors présider aux orientations du système éducatif. Qu'en est-il dans les faits? Quelles valeurs l'école véhicule-t-elle auprès des futurs citoyens? Est-il besoin de répéter que les sociétés en mutation d'aujourd'hui sont guidées, à l'échelle mondiale, par des intérêts économiques?

L'économie de marché et la compétition sont devenues les maîtres-mots. Comment, dès lors, s'étonner que l'école soit devenue une machine à produire de la main-d'œuvre compétitive et que l'élève soit devenu l'otage de cette logique? Prise entre l'idéologie dominante et les valeurs démocratiques, l'école semble pour l’heure nager entre deux eaux. Cette position ambivalente est génératrice de tensions et de perte de repères.Haut de page

Les dérives
de l'autorité

L'usage de l'autorité prête souvent à confusion. Elle peut être entendue, comme le suggère le Petit Robert, comme une supériorité de mérite ou de séduction qui impose l'obéissance sans contrainte, le respect, la confiance ". Vue sous cet angle, l'autorité de tout éducateur devrait reposer sur son aptitude à guider les élèves pour qu'ils soient en mesure d'exercer leur liberté dans un souci de justice: une autorité autorisée par autrui. Prise dans ce sens, " l'autorité implique une obéissance dans laquelle les hommes gardent leur liberté[10]

L'on doit reconnaître que la relation maître-élève induit dans son essence même une inégalité de statut; mais l'élève demeure en tout temps l'égal de l'enseignant en matière de droits fondamentaux. Si les comportements directifs vont de pair avec l'institution, il ne faut pas perdre de vue que l'école doit former des êtres libres, responsables et soucieux de la justice. Dès lors, l'on attend de l'établissement scolaire qu'il soit un lieu d'apprentissage de la liberté, et donc de la responsabilité. Or, si l'on se réfère aux recherches qui portent sur la fonction reproductrice de l'école, nous sommes portés à croire que " l'ordre social repose sur le pouvoir de contrôle de groupes dominants qui utilisent l'école pour reproduire leur position de domination, conformément à leur intérêt particulier "[14] , plutôt que comme vecteur d'émancipation. L'autorité, qui devrait être un véhicule des valeurs démocratiques, se trouve ainsi dénaturée, faisant dire à Mendel qu'elle n'est jamais que " le masque mystifiant de la violence [15] . Haut de page

© cifedhop, Genève, juin 1996 Tous droits réservés

ISBN 2-97900094-0-4

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