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L'éducation, une bonne affaire
Lettre n°33, septembre 2006

 

Notre époque est ainsi. Les moralistes en appellent à une quête du sens, les politiques ont fait de la bonne gouvernance leur maître mot et les officiants de la mondialisation n’en ont que pour la rentabilité – dont celle de l’éducation désormais dépeinte comme un investissement en « capital humain ».

 

Un tout récent vocabulaire émaille dorénavant le contenu de politiques sur l’éducation, de discours de politiciens ou de rapports de technocrates. Tout le monde le sait maintenant : l’éducation, ça se « manage ». Voyons voir.

 

 

Privatisation, commercialisation, bonnes pratiques, compétences, étalonnage concurrentiel (benchmarking), les « PPP » (partenariats public-privé), prise de décision, gestion efficiente de la classe, contrat de réussite, « bonnes pratiques », « clientèle  scolaire », qualité totale, produits, reddition des comptes, « imputablité », performance,…sont autant de termes qui font le quotidien de l’administration scolaire et qui sont tous plus ou moins empruntés au monde de l’entreprise et à celui des affaires.

Ce nouveau vocabulaire n’est pas innocent. Il uniformise la pensée sur l’éducation, il inféode l’esprit à des approches « managériales » de la chose éducative, réduisant celle-ci à  la « capacité » de produire des « compétences » attendues pour un meilleur « investissement » dans le futur.

 

C’est ce vocabulaire qui préside maintenant aux objectifs de l’éducation et qui affiche une bonne pensée pour les politiques de l’éducation qui visent à la maîtrise d’un certain nombre de savoirs et de compétences qui permettront aux élèves de bien s’intégrer plus tard une fois arrivés sur le marché du travail, de participer à la croissance collective, d’agir en bon citoyen corporatif et en consommateur averti.  Tel est le projet de société défini par le rendement, la rentabilité, la conformité aux règles et le pouvoir d’achat.

 

L’éducation, un marché

 

Il semble que la « marchandisation de l’éducation » soit une tendance lourde qu’il sera difficile d’inverser, du moins à court terme. Néanmoins, ce processus s’impose avec détermination si nous considérons l’éducation comme un bien public, appartenant à tous sans discrimination aucune, au même titre que l’eau, menacée elle aussi de privatisation généralisée et de commercialisation à outrance. C’est que sous nos yeux se déroule une gigantesque opération de dépossession des populations des biens qui leur appartiennent en commun.

 

S’agissant de l’éducation, Mme Tomasevsky souligne que la nécessité de convenir d'une politique mondiale des droits de l'homme est apparue avec plus de force depuis la reprise des négociations sur la libéralisation du commerce des services d'éducation. Les exportateurs de services d'éducation ont donné le ton, ajoute-t-elle, en orientant l'éducation sur la voie d'un service entrant dans le commerce international. Selon elle, il est donc plus important que jamais de définir la nature et la portée de l'éducation, qui devrait rester en dehors du commerce et demeurer un service public gratuit.

 

Selon Mme Uvalic-Trumbic, la tendance à commercialiser ce qui est considéré à ce jour comme des biens publics - éducation, culture et information (1)- met en danger les mécanismes actuels de contrôle dans ces domaines et appelle à de nouvelles approches en vue de protéger les droits de la personne. À moins que de nouvelles règles voient le jour, les pauvres n'auront pas accès aux avantages de la mondialisation, de conclure la représentante de l'UNESCO. Ce qui semble principalement en cause au vu de cette tendance observée à subordonner l’éducation aux exigences du marché, c’est que la préparation à la vie active par l’éducation se suppose plus de sains et légitimes questionnements sur les valeurs dominantes véhiculées par ce mode d’instrumentalisation des savoirs. C’est dans ce contexte qu’il nous paraît particulièrement urgent d’introduire à large échelle dans les programmes de formation des enseignants et dans les salles de classe l’éducation au débat citoyen et à l’esprit critique pour éviter que l’École ne devienne qu’une simple entreprise soumise aux aléas du marché.

 

 

Illustration : Dessin de Faujour, tiré du site SUD éducation

http://sudeducationguyane.apinc.org/spip.php?article267

 

Références

Human Rights Features ( 2004 ) « Education has become a traded service »
http://www.right-to-education.org/
Internationale de l’éducation. « L'OMC et le cycle du millénaire : les enjeux pour l'éducation publique »
http://www.ei-ie.org/main/french/index.html
« L’eau, ce bien commun de l’humanité » Groupe eau, Attac, 2003.
http://www.france.attac.org/IMG/pdf/eau_bien_commun_
humanite.pdf
ONU ( 2005 ). « Les inégalités dans le monde sont plus prononcées qu’il y a 10 ans. »
http://www.un.org/News/fr-press/docs/2005/SOC4681.doc.htm

ONU. (2002). « Rapport annuel présenté par Mme Katarina Tomasevski, Rapporteuse spéciale sur le droit à l'éducation, en application de la résolution 2001/29  de la Commission des droits de l'homme ».
http://www.unhchr.ch/Huridocda/Huridoca.nsf
/TestFrame/ 396c9c8baae3dec1c 1256b81005949dc

UNESCO. « Higher education for sale »
http://www.unesco.org/education/index.shtml

 

 

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(1) On peut même dire que la libéralisation des produits de l’agriculture n’est pas sans effets sur l’éducation. À titre d’exemple, Sally-Anne Way fait observer qu’en Zambie, suite à la libéralisation du secteur du maïs, le prix à la production a chuté alors que le prix à la consommation a augmenté. Elle ajoute que des études menées sur l’impact qu’a eu cette évolution des prix sur les droits humains ont, par exemple, démontré que la malnutrition et la mortalité qui lui est liée ont augmenté : « Les indicateurs ont révélé une régression en matière de santé du fait de l’appauvrissement des populations, et les familles ont été moins nombreuses à pouvoir envoyer leurs enfants à l’école. Les jeunes filles sont touchées de façon disproportionnée par ce phénomène car le travail domestique est considéré comme beaucoup plus profitable que l’éducation. ». In : « Envisager le commerce agricole et l’OMC du point de vue des droits humains ». Genève : Collection THREAD. Mars 2005.  http://www.3dthree.org/pdf_3D/Backgr1webFr.pdf

 

 

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