Dans nombre de pays industrialisés, léchec scolaire des garçons inquiète. Et il sen faudrait de peu chez certains pour que la réussite scolaire des filles soit perçue comme la grande responsable de cette tragédie annoncée. Les amateurs de raccourcis se sentent sans doute bien servis en appelant à la mobilisation pour sauver les garçons du péril de léchec.
Le profil entier de la victime a changé de sexe, écrit-on (1). Lunivers masculin serait en effet devenu otage de valeurs féminines qui diluent la virilité dans la coupe de légalité des sexes. Pour contrer leffet pervers dun tel breuvage, daucuns prétendent quil faudrait mettre lécole un peu plus au diapason des garçons, leur permettre de saffirmer quitte à créer des «gars show», comme la dailleurs fait récemment une administration scolaire québécoise. Celle-ci consacra en effet une journée dactivités réservée aux garçons et ne sembla pas avoir vu dinconvénients à envisager la présence de larmée canadienne qui devait traîner dans la cour d'école un tank et un hélicoptère de la classe Apache, question peut-être de montrer aux jeunes mâles ce quest un vrai métier dhomme (2).
À en croire certains, lécole noffrirait pas de défis à la hauteur de la «nature compétitive» des garçons. Si, en revanche, les filles parviennent à réussir dans un univers scolaire soi-disant édulcoré, cest quelle consentiraient plus facilement que leurs congénères du sexe opposé à se soumettre à lautorité. Autrement dit, la réussite des filles ne serait somme toute que le résultat dune acceptation sans condition des règles du jeu de lapprentissage scolaire. À linverse, lidentité des garçons saffirmerait à laune dune virilité exacerbée sur fond de contestation de lautorité. «Une construction dangereuse à terme pour la mixité, scolaire ou sociale, et les acquis de dizaines dannées de féminisme», soutient le Monde de léducation (3).
Convenons, certes, de lévidence de difficultés scolaires éprouvées par les garçons. Cela dit, ce nest pas le fait qui est en cause, loin de là, mais les dérives auxquelles peuvent prêter son interprétation tout comme certains moyens proposés pour y remédier. Ainsi en est-il des arguments de type essentialistes qui soutiennent que garçons et filles méritent un traitement différencié au motif que le testostérone des premiers susciterait plus de turbulence que les strogènes des secondes, que la différence de fonctionnement du cerveau chez lun par rapport à lautre commanderait une didactique adaptée à ces particularités. Par ailleurs, à la lumière détudes, labsence souvent observée du soutien du père au travail scolaire de sa progéniture masculine serait à lorigine de nombre de difficultés scolaires des garçons sans compter que bon nombre de «modèles» populaires de réussite qui leur sont proposés se nourrissent dincivilités, de machisme et de violence gratuite par vidéos, spectacles et cinémas interposés.
Ce débat sur les «performances» scolaires comparées des garçons et des filles a très largement cours à ce jour au sein des sociétés post-industrialisés surtout, là où le droit à léducation à lenseignement primaire et secondaire est généralisé. Mais il convient de rappeler quà léchelle planétaire près de 60 pour cent des 123 millions denfants nayant pas accès léducation sont des filles. Les mariages précoces, lobligation de travail domestique et les actes de violence perpétrés à leur encontre figurent au nombre des principales causes explicatives de cette situation (4). Dautre part, soulignons que la parité en matière daccès à léducation ne dispose cependant pas de la question de légalité de traitement une fois les filles rendues sur le marché du travail car «Les femmes doivent atteindre de plus hauts niveaux de performance afin de réussir dans la compétition pour les emplois, pour légalité des rémunérations et pour les postes décisionnels», indique un rapport de lUNESCO (5).
Le chemin est long pour être à la hauteur des ambitions de la Convention des Nations Unies sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes.
Illustration : Extrait de la page couverture de l'ouvrage "Sauvons les garçons !" de Jean-Louis Auduc, Éditions Descartes & Cie
http://www.editions-descartes.fr/spip.php?article667
Références
(1) Bouchard, Pierrette, Boily, I. et Proulx, M.- C. (2003). «La réussite scolaire comparée selon le sexe : catalyseur des discours masculinistes». Condition féminine Canada. http://www.cfc-swc.gc.ca/pubs/0662882857/200303_0662882857_11_f.html
(2) «Éducation - Pour gars seulement». Le Devoir, 2003. «L'idée d'organiser une telle activité - qui pourrait servir éventuellement de projet pilote - est une suite logique aux statistiques démontrant que les garçons sont beaucoup plus susceptibles de doubler une année scolaire, de ne pas terminer leur secondaire ou d'aboutir dans une classe de troubles de comportement, d'adaptation scolaire ou de cheminement particulier», écrivait, rapporte Le Devoir, le ministre de lÉducation.
http://www.ledevoir.com/2003/09/08/35631.html
Voir aussi : «Les difficultés scolaires des garçons - Débat sur l'école ou charge contre le féminisme ?» http://www.ledevoir.com/2003/11/03/39689.html
(3) Le Monde de léducation (2003). N° 310
(4) (5) UNESCO (2003). «Les filles se heurtent encore à de fortes discriminations dans l'accès à l'école».
http://portal.unesco.org/fr/ev.php@URL_ID=17039&URL_DO=DO_TOPIC&URL_
SECTION=201.html