Nous sommes en 1969. Quelques chercheurs du Pentagone, aux États-Unis, émettent l'hypothèse selon laquelle il est possible de mettre en réseau des ordinateurs afin qu'ils puissent communiquer ensemble. Dans un contexte de guerre froide, un réseau d'ordinateurs interconnectés permettrait de réorienter l'information vers d'autres ordinateurs advenant le cas où une attaque militaire détruirait une partie du réseau, celui-ci se "régénérant" par détournement du flux d'information vers d'autres ordinateurs non touchés, reconstruisant et élargissant ainsi, au besoin, la "toile" des échanges.
Le projet ARPANET (Advanced Research Project Agency) était né. Quelques chercheurs d'universités de la Côte ouest des États-Unis acceptèrent de s'y joindre en vue de son expérimentation.
Trente ans plus tard, l'ARPANET est devenu l'INTERNET (littéralement, entre les "filets" ou les "toiles" et des dizaines de millions de personnes utilisent ce moyen de communication tous les jours. Louangé par les uns, critiqué par les autres, Internet aujourd'hui se présente à la fois comme un formidable levier de communication planétaire, mais aussi un lieu où foisonnent des savoirs éclatés et de l'information tronquée.
À ma naissance, j'étais l'enfant des contes des trois petits cochons et du méchant loup et non celui des aventures de Star Trek. Il y avait la radio, le téléphone, le cinéma et le tic-tac de l'horloge mécanique de mon grand-père. Il n'y avait ni la télévision, ni le photocopieur, ni les premiers ordinateurs à cartes perforées, ni les premiers ordinateurs de bureau, encore moins l'ordinateur portable, le cédérom ou le téléphone satellitaire. C'était vers la fin des années quarante. [Selon des sources datant de 1997, donc un demi-siècle plus tard] "Il y a [avait, en cette année-là)], dans le monde, 1,260 milliard de téléviseurs (dont plus de 200 millions câblés et près de 60 millions branchés sur un bouquet numérique), 690 millions d'abonnés au téléphone (dont quelque 80 millions au téléphone cellulaire) et environ 200 millions d'ordinateurs personnels (dont 30 millions connectés à Internet). On estime que, en 2000 ou 2001, la puissance du réseau Internet dépassera celle du téléphone, que le nombre d'utilisateurs du réseau oscillera entre 600 millions et un milliard, et que le World Wide Web (la Toile) comptera plus de 100 000 sites commerciaux." (Le Monde diplomatique, avril 1997. Pages 1 et 24).
Toutes ces transformations rapides nous ont amenés plus ou moins consciemment à développer des nouveaux rapports, pas toujours consentis cependant, au temps et au capital du savoir (Voir: "S'approprier le temps", Le Monde diplomatique, février 1999 . Les TIC provoquent de véritables ondes de chocs culturels et le flux considérable d'information remet en question notre capacité de gérer les savoirs. Au cours des trente dernières années environ, la somme des connaissances disponibles a atteint l'équivalent de celles qui se sont développées au cours des cinq millénaires qui nous ont précédés (Ramonet,1997, p. 24). Les moyens traditionnels d'apprentissage et de la gestion de l'information sont pratiquement devenus dès lors obsolètes, prétend-t-on. Un seul exemplaire de l'édition dominicale du New York Time, nous rappelle Ignacio Ramonet dans son article, contient plus d'informations que pouvait en acquérir, durant toute sa vie, une personne au XVIIe siècle. Chaque jour, poursuit-il, environ 20 millions de mots d'information technique sont imprimés sur divers supports allant, par exemple, des revues et des livres aux rapports de toutes sortes en passant par les disquettes et les cédéroms (Le Monde diplomatique, avril 1997, page 24). Dans un autre article, l'auteur, François Lentz, rappelle: "On le sait désormais: la quantité et la gamme des connaissances à notre disposition doublent environ tous les six ans" (voir: "Apprendre à enseigner pour enseigner à apprendre", Éducation Canada, 33:3, 1993, p. 20).
Mais attention. La gestion de ces savoirs et les nouveaux apprentissages qu'induisent les TIC ne sont pas à la portée de tous. On estime que 2% seulement de la population mondiale a accès au WEB et la moitié de ce petit 2% se trouve aux États-Unis (1). D'où l'importance considérable que représente cette semaine pour nous tous afin de travailler en commun, d'apprendre à utiliser les TIC et de faire reculer, ne fut-ce qu'un tout petit peu, la distance qui empêche leur accès et, par conséquent, leur maîtrise.
En tant que formateurs, enseignants, militants dans le domaine de l'éducation à la paix et aux droits de la personne, l'apprentissage des TIC revêt une signification particulière. Le cyberespace est composé dep lanètes redoutables: cyberconsommation, cybercriminalité, cyberpropagande, cyberhaine, etc. Et c'est justement le contre-pied de ces entreprises que nous devons prendre pour promouvoir l'éducation à la paix et aux droits de l'homme.
Prenons dans cet esprit les TIC pour ce qu'elles doivent être : un moyen de vaincre la violence, notre isolement, de faire connaître nos objectifs et nos réalisation, de nous informer pour agir. Avec l'Internet, le défi consiste, entre autre, à dépasser le simple échange d'informations pour atteindre le stade de la communication, donc la réciprocité. Il y a là une question d'attitudes à développer. D'où l'importance de cultiver en quelque sorte, l'esprit de dialogue en ne perdant pas de vue que ces technologies doivent demeurer au service de l'humain. (2)
Il nous faut aussi éviter d'être mis en tutelle par l'Internet: tutelle mentale, tutelle du temps virtuelqui n'est pas celui du temps humain, politique et social, par exemple. Ce danger existe. Il ne faut pas perdre de vue nos temps réels définis par nos cultures respectives, nos lieux géographiques différents. "C'est que le foyer, l'emploi, le territoire, la qualité de la vie ou la culture s'opposent à la déterritorialisation crée par le cybermonde" (Joël de Rosnay, La France et le cybermonde). Le rapport au temps est une lente et complexe construction mentale et culturelle. Récemment, une institutrice livrait l'anecdote suivante : un enfant était en train de feuilleter un manuel d'histoire et son regard s'attarda sur un portrait du cardinal de Richelieu. L'enfant paraissait songeur et finit par demander à sa maîtresse : "il a l'air bien fatigué le cardinal ". L'institutrice fit remarquer à l'enfant qu'il était déjà vieux à l'époque où le peintre fit son portrait. Et l'enfant ajouta : "oui, peut-être, mais je l'ai quand même trouvé plus jeune hier lorsque je l'ai vu à l'écran et il avait l'air en bien meilleure forme".
L'Internet ne remplace pas l'écrit puisque l'Internet est un nouveau support à l'écrit auquel se joint le son et l'image. Pour naviguer, il faut savoir lire ou, dans certains cas, apprendre à écrire et à lire par ce biais. La feuille de papier n'est pas morte non plus. Le fichier téléchargé finira dans bien des cas par être imprimé. Cependant, nous lirons, parlerons, regarderons et écouterons de plus en plus différemment sans doute surtout en raison de l'importance considérable que prend le multimédia de nos jours et, particulièrement, la transmission de l'image. Il faudra par ailleurs examiner avec circonspection la valeur des banques d'images vendues sur le marché électronique et susceptibles d'influencer l'élaboration de nos corpus. Prenons l'exemple fictif- d'une image en fichier JPEG représentant un regroupement de femmes au marché. D'où viennent ces femmes ? De Guinée ? Voudra-t-on faire croire qu'elles peuvent tout aussi bien être d'un autre pays africain au seul motif qu'elles ont toutes la même couleur de peau ? Les tissus qu'elles portent ne les caractérisent-elles pas au plan culturel ? Vous voyez ? En reconstituant un tableau, nous devons nous assurer qu'il se fonde sur une connaissance juste, faite de rigueur et d'honnêteté intellectuelles et qu'il reflète l'histoire et le présent de nos traditions respectives, comme cela devrait être le cas dans le cas de cette image. Par analogie, il nous appartient de demeurer vigilants pour que la transmission électronique de nos savoirs respectifs et le partage de nos aspirations ne soient ni dilués ni manipulés par des dérives ludiques et imaginaires mises au service du spectacle et de la facilité trompeuse. Nous devons documenter nos propos, les référencer et nous assurer de la fiabilité des sources qui l'alimentent.
Pendant cette semaine, nous apprendrons à utiliser une machine dont le carburant est fait de logiciels, d'applications, de partagiciel, de langages qu'il est nécessaire de s'approprier pour produire des matériels qui vous serviront à l'éducation aux droits de l'homme et à la paix; vous formaterez, téléchargerez, insérerez, etc. Vous le ferez en vue faire connaître vos idées, vos actions, vos discours. Il ne nous faudra pas oublier dans tout cela le but que nous poursuivons ainsi que la valeur et la richesse de l'échange convivial. Nous sommes ici ensemble un regroupement d'humains en voie d'utiliser notre permis de navigation pour nous rendre là où nous voulons aller. (voir thématique 6)
Quelques références complémentaires
"L'Afrique à l'aune du développement virtuel"
"Nouveaux barbares de l'information en ligne"
Peinture de Mr Kabré sur le phénomène des TIC en Afrique. (Crédit : RFI)