Julius Robert Oppenheimer fut l’un des principaux artisans du projet Manhattan qui mena à la construction de la première bombe atomique. Celle-ci provoqua la destruction d’Hiroshima, puis de Nagasaki, au Japon, en 1945. Tel fut le résultat du déclenchement de la première guerre nucléaire de l’humanité. L’homme de science ne cessa de s’interroger par la suite sur les problèmes moraux et éthiques soulevés par une découverte scientifique dont l’application pouvait semer la mort avec autant de force, voire détruire le monde entier. Cette question semble l’avoir hanté pendant les dernières années de sa vie. Condamnant propre invention, il en illustra le geste en reprenant les termes de Vishnu, dans le Bhagavad Gita : « maintenant je deviens la mort, l’anéantisseur des mondes ».
Pour sa part, l’appel à la suppression des armes nucléaires tel que lancé, en 1955, par le manifeste Russell-Einstein n’eût aucun effet : tant à l’Ouest qu’à l’Est, la doctrine de la dissuasion nucléaire alla provoquer une véritable course à l’armement conventionnel et…nucléaire.
Dans son économie générale, le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP) de 1968 est censé favoriser l’usage pacifique de l’atome. Mais déjà à l’époque, les États-Unis, la France, la Grande-Bretagne et l’ex-Union soviétique s’étaient tous dotés de l’arme nucléaire…Et l’intention à la base du Traité n’empêcha nullement des États non signataires (l’Inde, le Pakistan, la Chine et Israël) d’en faire autant. Sans compter les ambitions présumées de la Corée du Nord - qui s’est retirée du TNP en 2006 - et de l’Iran de qui, selon certains milieux occidentaux, pourrait désormais venir tous les dangers. D’où le prétexte à une nouvelle doctrine de dissuasion encore plus dangereuse encore que sa sœur aînée : la frappe nucléaire préventive.
Récemment, cinq anciens hauts gradés de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) publièrent un manifeste qui pose que l’Occident devrait être en mesure de déclencher une attaque nucléaire préventive. Bien entendu, se sent-on obligés de nuancer, l' « emploi en premier » de telles armes doit demeurer un « instrument ultime » pour empêcher l'utilisation par un adversaire d'armes de destruction massive, de relater le quotidien Le Monde. La position choisie est claire : l’affrontement plutôt que le dialogue - fut-il ferme. Un choix qui réjouit sûrement les néoconservateurs plutôt prompts à dresser des listes d’États voyous sur qui pourrait peser désormais la menace permanente d’être explosés à moins de se soumettre aux diktats des justiciers à la gâchette facile.
Où sont aujourd’hui les scientifiques et les intellectuels en général qui dénoncent en masse haut et fort le recours aux chantage nucléaire ? Ils semblent au mieux se terrer dans un silence qui ne semble pas avoir de fin, au pire jouer au Saint Agostoin contemporain en accouchant d’appuis douteux à de soi disant guerres justes.
En son temps, Oppenheimer avait eu le courage de ses convictions. Cela lui valut bien des tracas. Mais il persista : le scientifique ne saurait être au service de la destruction massive. On aimerait que le politique en soit tout autant convaincu. Il y a urgence.
Il est tout aussi important que l’éducation se mêle de ce qui la regarde : la culture la paix par la non violence. Ce ne sont pas de généraux devenus fous ou de présidents belliqueux dont l’enseignement a besoin, mais d’une mémoire historique qui nous rappelle à la responsabilité sociale et à plus d’humanité.
Références
La documentation française. « Les doctrines nucléaires ».
http://www.ladocumentationfrancaise.fr/dossiers/nucleaire/
doctrines.shtml
« Towards a Grand Strategy for an Uncertain World. Renewing Transatlantic Partnership ». Noaber Foundation. 2007
http://www.csis.org/media/csis/events/080110_grand_strategy.pdf
Le Monde. « Réflexions militaires occidentales sur l'usage préventif de l'arme nucléaire ».
http://www.lemonde.fr/organisations-internationales/article/2008/01/23/reflexions-militaires-occidentales-sur-l-usage-preventif-de-l-arme-nucleaire_1002516_3220.html
James K. Galbraith : « A criminal idea. Attacking other countries to stop them acquiring nuclear weapons repudiates a key principle of international law ».
http://commentisfree.guardian.co.uk/james_k_galbraith/2008
/01/a_criminal_idea.html
Ilustración Essai nucléaire en Polynésie française Photo CEA.