Evolution: vivre ensemble dans une pluralité de mondes "individualisés"
Par Michel Vuille


Introduction : crises de la société, crises de l'enseigneme

Il y a un peu plus de 30 ans, Viviane Isambert-Jamati publiait un ouvrage intitulé Crises de la société, crises de l'enseignement (1), une étude diachronique portant sur l'enseignement secondaire français. Le problème que cette sociologue aborde alors porte sur les fins poursuivies par les lycées et elle livre dans ses premier et dernier chapitre des observations intéressantes :

    L'enseignement secondaire n'est pas seulement multiple, en effet, parce qu'il comporte des disciplines diverses, des programmes de niveaux divers, et toutes sortes de sections; il semble bien l'être même à l'intérieur d'un seul segment, par le sens que donnent les enseignants à leur action (p. 7).

    Ce qui est institutionnel dans un lycée tient pour la plus grande part à la réglementation centrale de l'enseignement secondaire : division en disciplines, en classes, en sections; programmes de chaque discipline; répartition hebdomadaire ou annuelle des différentes tâches; examens prévus comme contrôle. Est propre à tel lycée particulier - et cependant institutionnel - son nom, la forme de ses bâtiments, son règlement intérieur qui spécifie par exemple comment doivent se faire les "mouvements" en fonction de ce que sont les bâtiments.

    Pourtant, même si dans une telle institution les règles de fonctionnement sont nombreuses, la part d'indétermination de l'action éducative y reste importante : la socialisation y est réalisée par une action constante (alors que les prescriptions indiquent seulement une série de points de repères) et très différenciée (alors que les prescriptions ne peuvent prévoir que quelques types d'activités). A cette marge correspondent donc des choix à faire par ceux qui font fonctionner l'institution, choix d'actes éducatifs, et comme tels orientés vers des fins. Aussi poursuivent-ils dans leur action non seulement des fins communes, définies de façon générale dans les textes constitutifs des lycées, mais des fins plus particulières (p. 9).

    L'éducation comporte, en effet, quelle qu'en soit la forme, une incitation à révérer des valeurs, ou du moins, à orienter ses actes en fonction de certaines valeurs. Aussi le sens que l'on déclare donner à l'éducation est-il en même temps déclaration d'adhésion éthique et intellectuelle, et appel à l'adhésion éthique et intellectuelle de la jeune génération (pp. 9-10).

    Le résultat de l'action éducative, c'est la transformation de l'enfant en un adulte capable d'adopter tel type de conduite. Dans un établissement scolaire, cette transformation a lieu à la fois grâce aux règles de la vie collective et grâce aux disciplines d'enseignement : les unes et les autres sont spécifiées en fonction des traits de l'adulte à former. C'est pourquoi nous avons cherché comment les agents de l'institution définissent et justifient les unes et les autres : c'est là que nous pouvons saisir le sens donné à l'action éducative (p. 10).

Dans la conclusion à son dernier chapitre intitulé Crise des objectifs (1961-1965), V. Isambert-Jamati ose quelques remarques prospectives parmi lesquelles on retiendra les deux suivantes :

  • on verra probablement augmenter encore dans les années à venir la tendance à individualiser l'éducation et à parler des élèves en termes psychologiques,
  • on sait, en toute hypothèse, depuis mai 1968, que l'avenir des lycées n'est sans aucun doute plus le fait des seuls professeurs. On ne risque guère de se tromper en prévoyant que désormais - dans une proportion que l'on ne saurait indiquer - ils définiront leurs objectifs avec leurs élèves, faute de quoi l'échec de leur action éducative serait hautement probable (p. 316).

Ces citations sont certes intéressantes parce qu'elles constituent un témoignage du passé (récent), mais elles le sont plus encore si on en extrait des éléments pour établir la matrice dans laquelle prendra forme notre champ conceptuel tourné vers l'analyse du changement.

Au cours des trois dernières décennies, certaines mutations sociales et de l'éducation se sont bien produites dans les directions esquissées par V. Isambert-Jamati; on peut ajouter qu'elles ont certainement dépassé les prévisions que les analystes pouvaient faire en 1970, même immédiatement après que les grandes manifestations étudiantes de 1968 ont, partout dans le monde, proclamé vouloir changer la société et changer la vie(2) . En utilisant, en partie, un autre langage que celui de son auteur, voici ce qu'on peut retenir de l'étude Crises de la société, crises de l'enseignement:

  • pour les raisons indiquées, le système éducatif est toujours multiple et diversifié, en particulier par le sens que donnent les enseignants à leur action,
  • l'école comprend un niveau institutionnel (lié à la réglementation centrale - fins communes) et un niveau organisationnel (lié au projet d'école et au règlement interne de l'établissement - fins particulières),
  • quelles que soient les règles formelles ou informelles d'origine institutionnelle et organisationnelle, la part d'indétermination de l'action éducative reste importante, car les prescriptions ne concernent que quelques types de conduites et d'activités,
  • le sens et les buts que l'on déclare donner à l'éducation sont en même temps déclaration d'adhésion éthique et intellectuelle, et appel à l'adhésion éthique et intellectuelle de la jeune génération,
  • l'éducation des jeunes vise le passage à l'âge adulte, via la socialisation (adhésion aux règles de la vie collective) et via l'apprentissage des disciplines d'enseignement,
  • augmentation dans les années à venir de la tendance à individualiser l'éducation et à parler des élèves en termes psychologiques,
  • dans une proportion difficile à estimer, les professeurs définiront leurs objectifs avec leurs élèves, faute de quoi l'échec de leur action éducative serait hautement probable.

Mais, d'autres changements n'étaient pas prévisibles à l'époque des "trente glorieuses". Parmi ceux-ci on mentionnera par exemple

  • les conséquences de la crise économique sur la formation, l'emploi, le travail, la montée du chômage et de la précarité (nouvelle question sociale : "pompe aspirante et refoulante" - processus de désaffiliation, galère, désorganisation, délinquance, rage et haine),
  • sur le plan scolaire en France, l'accès d'un très grand nombre de jeunes au cycle du secondaire long : nouveaux lycéens issus de milieux populaires et/ou migrants, donc défavorisés ou moins favorisés que les jeunes d'origine bourgeoise ou de classe moyenne (les "héritiers" au sens de Bourdieu),
  • la compétition accrue entre les apprenants due à la mondialisation, au libéralisme économique et aux nouvelles technologies,
  • le développement d'un libéralisme culturel : cultures juvéniles se développant hors du regard des adultes, mais orchestrées par les faiseurs de modes et de marques qui diffusent les nouveautés musicales, vestimentaires, ludiques, cinématographiques, littéraires et autres à travers les multi-medias,
  • l'apparition de nouvelles formes de violence associées au "vivre ensemble dans plusieurs mondes" à l'école ou dans la cité : violences ordinaires (qu'on appelle désormais "incivilités") et insécurité,
  • la construction de l'identité des jeunes qui dépend aujourd'hui fortement de leur appartenance à des groupes de pairs (socialisation entre pairs); par exemple, la grande majorité des actes de délinquance des mineurs est commise en groupe.

Aperçu du contexte social en évolution

Même si on le situe sur un plan global, le pointage de quelques tendances évolutives présentées ici est en réalité construit sur la base de deux entrées interdépendantes :

    - la première ouvre sur de nouveaux rapports qui se nouent aujourd'hui entre individu et société : société qu'on nomme parfois "société de réseaux" ou "société informationnelle", mais qu'on peut aussi bien qualifier de "société d'individus",
    - la seconde fait référence à l'évolution des cadres juridique et normatif dans cette société d'individus, dès lors que le centre de notre réflexion porte sur l'évolution des politiques éducatives, des contenus de l'enseignement et de la formation des maîtres en matière d'éducation aux droits de l'homme, à la paix et à la citoyenneté démocratique.


Passage d'une société "holiste"- puis industrielle à une société d'individus

Les premières formes identitaires, les plus anciennes, sont les formes communautaires. Ce sont des systèmes de place et de noms préassignés aux individus (appartenance unique), systèmes qui se reproduisent à l'identique à travers les générations et une véritable domination masculine. Le mode de régulation de la forme communautaire, c'est la stricte régulation de contrôle.

Les espaces sociétaires supposent au contraire l'existence de collectifs multiples et variables, auxquels les individus (hommes, femmes, jeunes) adhèrent pour des périodes limitées, en fonction d'intérêts communs. Ainsi, chacun possède de multiples appartenances et participe à divers types d'activités à partir d'un mode d'adhésion formellement libre: association, réseau, groupement (3). [Art. 20 de la Déclaration universelle des droits de l'hommes : Toute personne a droit à la liberté de réunion et d'association pacifiques. Nul ne peut être obligé de faire partie d'une association]. Le mode de régulation de l'espace sociétaire, c'est la régulation autonome associée ou non à la régulation de contrôle.

Dans ses entretiens avec C. Haroche sur la construction de l'individu moderne, R. Castel (2001) note que le moment de la sortie de la société "holiste" se situe au XVIIe et plus explicitement au XVIIIe siècle :

    Les statuts traditionnels se desserrent et l'individu cesse d'être pris dans une relation étroite de dépendances et d'interdépendances produites par la coutume et les liens de filiation. S'extrayant de cette gangue l'individu peut commencer à devenir un individu "dans le monde", et donc exister à partir de ses propres activités d'appropriation (p. 25). Cet individu moderne, quels que soient ses sentiments, c'est celui qui fondamentalement ne dépend pas, quant à son existence sociale, des rapports hiérarchiques qui prévalent dans une société à statuts parce qu'il se constitue par ses actes d'appropriation (p. 49).

    Société salariale
    Une nouvelle étape qui s'impose à partir de 1945 avec la Sécurité sociale est la généralisation de cette couverture à l'ensemble des travailleurs, et même bientôt à pratiquement l'ensemble de la population. C'est le développement de ce que l'on est en droit d'appeler désormais une société salariale (p. 83).

    C'est d'abord une société qui est parvenue dans une large mesure à surmonter la coupure propriétaires/non propriétaires. La propriété privée subsiste, et elle continue à procurer ses avantages. Mais les non propriétaires bénéficient désormais d'un minimum de garanties et de droits qui leur permettent de continuer à "faire société" avec leurs semblables, à être des individus à part entière (p. 83).

    Pour qu'il y ait conscience des inégalités, il faut qu'il y ait comparabilité des situations, que les individus n'habitent pas dans des univers sociaux tout différents comme le maître et l'esclave, le seigneur et le serf, ou même le prolétaire et son patron (p. 90).

Du côté de la religion, D. Hervieu-Léger (2001) souligne que la perte de contrôle de la construction des identités religieuses constitue le fait majeur des trente dernières années :

    La religion est de plus en plus ressentie comme un moyen d'épanouissement personnel, et son statut a évolué en fonction de la progression de l'individualisme, caractérisé dans la jeunesse comme une volonté d'indépendance personnelle et un souci de soi(4) .

Sur les plans économique, politique et syndical, F. Dubet (1987) pointe l'importante rupture qui intervient à la période de transition de la société industrielle à la société de réseaux : c’est l’épuisement du mouvement ouvrier et des mouvements sociaux, c’est la fin des banlieues rouges. En conséquence, pour les jeunes et les gens des quartiers sensibles, toute référence au mouvement ouvrier ou à d’autres mouvements sociaux intégrateurs a disparu.

Evolution du droit : des déclarations politiques révolutionnaires aux réalisations sociales

Castel (2001) relève une contradiction majeure dans laquelle s'est enfermée la Révolution de 1789, celle qui proclame la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen pour tous les Français, en voulant balayer les ordres et les privilèges qui caractérisaient l'Ancien Régime :

    Elle a assuré tant bien que mal l'accès à la citoyenneté politique, et les dispositions des assemblées révolutionnaires étaient de ce point de vue relativement audacieuses. Mais elle a laissé subsister une misère travailleuse installée dans une situation de non-droit. C'est le noyau de la critique du caractère "formel" des droits "bourgeois" qui sera développée par le marxisme (p. 41).

    Cette "portion la plus utile et la plus nombreuse des citoyens", c'est bien cette majorité de travailleurs non propriétaires peuplant alors le pays de la Déclaration des droits de l'homme qui vient en même temps de poser le droit de propriété comme un "droit inaliénable et sacré" (art. 17). C'est ce que l'on pourrait appeler l'aporie fondamentale de la propriété, posée comme le support nécessaire de la citoyenneté, mais dont la majorité des citoyens sont exclus (p. 42). Ainsi, jusqu'au XIXe siècle, les individus appartenant à cette "classe non propriétaire" ne disposeront d'aucun droit social et seront socialement méprisés (p. 46). De ce point de vue quelque chose de fondamental se produit à partir de la fin du XIXe siècle : le développement de la propriété sociale (p. 72).

    La propriété sociale est une sorte de moyen terme qui inclut la protection sociale, le logement social, les services publics, un ensemble de biens collectifs fournis par la société et mis à la disposition des non propriétaires pour leur assurer un minimum de ressources, leur permettre d'échapper à la misère, à la dépendance et à la déchéance sociale. C'est à cette conception que l'on peut qualifier de "réformiste" de la propriété sociale que je me réfère ici, non par choix idéologique, mais parce que c'est elle qui s'est imposée historiquement pour former la base d'un nouveau système de protections constituant l'ossature de ce que l'on appelle l'Etat-providence (pp. 76-77).

La référence que fait Castel aux contradictions liées à la Révolution de 1789 n'est certes pas nouvelle et inédite, mais il est certainement important qu'il rappelle qu'une Déclaration de droit reste formelle (donc inopérante pour le plus grand nombre), si elle ne donne pas les moyens aux populations concernées de "valider" à travers des ressources économiques, sociales et culturelles, le droit acquis sur le plan politique. Bien entendu, cela n'est pas sans conséquence sur la société dans son ensemble, puisque émerge une frontière entre "ceux qui sont installés dans une situation de droit" et "ceux qui sont installés dans une situation de non-droit".

Pour témoigner de l'actualité de ce propos, référons-nous par exemple à la rubrique Droit à l'éducation tel qu'il figure dans le lexique :

    Droit à l'éducation
    Il est reconnu par l'article 26 de la Déclaration universelle des droits de l'homme : Toute personne a droit à l'éducation et, c'est l'article 13 du Pacte relatif aux droits économiques, sociaux et culturels qui en précise les modalités. Avant d'examiner ces dernières, il convient de préciser qu'à l'égard de l'ensemble des droits reconnus dans ce Pacte, les Etats ne sont pas tenus à une obligation de résultat, mais à une obligation de moyens. Il ressort en effet de l'article 2 que Chacun des Etats parties au présent Pacte s'engage à agir… au maximum de ses ressources disponibles, en vue d'assurer progressivement le plein exercice des droits reconnus dans le présent Pacte.

    Sur la nature de ce droit, les remarques du Comité des droits économiques, sociaux et culturels sont extrêmement intéressantes. Il note en effet que le droit à l'éducation "a été selon les cas, classé parmi les droits économiques, les droits sociaux et les droits culturels. Il appartient en fait à ces trois catégories. En outre, poursuit le Comité, à bien des égards, il est un droit civil et un droit politique, étant donné qu'il est aussi indispensable à la réalisation complète et effective de ces droits. Ainsi le droit à l'éducation incarne l'indivisibilité et l'interdépendance de tous les droits de l'homme.

Le droit à l'éducation est sans conteste un droit universel et fondamental ! Qui plus est, il constitue une des clefs des autres droits inhérents à la personne humaine. C'est en effet par son appartenance aux trois catégories [droits économiques, droits sociaux et droits culturels] que le droit à l'éducation est un droit fondamental. A l'article 26, on précise en outre ce que doit être le contenu de l'éducation : L'éducation doit viser au plein épanouissement de la personnalité humaine et au renforcement du respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Elle doit favoriser la compréhension, la tolérance et l'amitié entre toutes les nations et tous les groupes raciaux ou religieux, ainsi que le développement des activités des Nations unies pour le maintien de la paix (cf. la rubrique contenu de l'éducation dans le lexique).

Puisque le droit à l'éducation vise au plein épanouissement de la personnalité humaine et qu'il incarne l'indivisibilité et l'interdépendance de tous les droits de l'homme, il est alors essentiel - en particulier pour la cohésion de la société et pour le renforcement du système démocratique - que les Etats assurent le plein exercice des droits de l'homme sur les plans économique, social et culturel [cf. à ce sujet les positions de l'EIP lors de sa communication...].

D'un droit imposé (par la hiérarchie) à une régulation plus souple (via la négociation)

Dans le prochain chapitre, on proposera une clef de lecture de la société d'individus à travers la référence à plusieurs processus et tendances: individualisation, désinstitutionnalisation, compétition(5) , autonomisation de l'établissement scolaire et constructivisme en pédagogie. Pour s'assurer et apporter la preuve que ces évolutions lourdes ne sont pas que des vues de l'esprit, il faut sans doute les valider de deux manières :

    - en montrant la convergence de plusieurs mouvements, observables dans plusieurs secteurs, qui aboutissent à la production de la société d'individus dont on parle,
    - en remontant dans le temps pour comprendre le présent, mais aussi en s'inspirant des derniers travaux de recherche publiés sur le changement dans les divers secteurs auxquels on s'intéresse.

Dès lors que le droit est à la fois fondamental et "transversal", on peut le considérer comme un bon analyseur des transformations en cours dans tous les domaines de la société. Et quand la revue Sciences Humaines consacre un dossier aux Nouvelles frontières du droit (nº 115, avril 01), puis un autre dossier à l'autorité qui n'est plus ce qu'elle était Autorité, de la hiérarchie à la négociation (nº 117, juin 01), ne peut-on légitimement admettre que ces contributions récentes confortent la thèse selon laquelle nos sociétés s'individualisent et se désinstitutionnalisent ?

Philippe Cabin (2001) dévoile un trait paradoxal de la situation actuelle en posant cette question : la société (est-elle) saisie par le droit ?

    Derrière l'engorgement des tribunaux et la prolifération des textes juridiques se cache un paradoxe : les individus sont demandeurs de règles, mais ne veulent pas qu'elles soient trop contraignantes. Une contradiction qui traduirait le passage du droit imposé et surplombant à un droit contractuel et négocié.

    L’évolution du travail illustre une tendance sociale lourde : le passage d’une société hiérarchisée, dans laquelle la norme vient d’en haut, à une société d’individus qui sont amenés de plus en plus souvent à négocier et à résoudre des différends en dehors d’une institution ou d’une autorité supérieure. Les situations sociales sont de plus en plus singulières et complexes.

Selon cet auteur, ce sont de nouveaux enjeux qui entraînent de nouvelles règles :

    L’appel au droit résulte pour une part de l’apparition d’enjeux nouveaux qui réclament des règles du jeu. Ces poches de carence juridique naissent des progrès de la technique (développement des outils informatiques et des techniques de communication, progrès de la biologie), de l’émergence de nouvelles préoccupations sociales (environnement, sécurité alimentaire), ou encore de transformations structurelles (internationalisation).

    De nombreuses recherches montrent en effet la dissémination des normes et la diversification de leur mode de production. La régulation juridique est de moins en moins l’apanage de la loi et de l’espace théâtralisé du tribunal : elle s’exprime dans de multiples situations sociales.

En partant de ces divers points de réflexion liminaires, on peut essayer maintenant de dégager quelques configurations dans lesquelles apparaîtront les tendances majeures des mutations actuelles de la société et de l'éducation - en référence avec les droits humains.

Une société d'individus

Les accents sont placés sur le processus d'individualisation lui-même et, de manière moins directe, sur la tendance à la désinstitutionnalisation; on y ajoute deux références à la compétition et à la mobilité (flexibilité) liées à la mutation globale du capitalisme actuel. Sur le plan scolaire, on aborde l'autonomisation de l'établissement scolaire qui s'oppose désormais à la traditionnelle réglementation centrale et la vogue du constructivisme en pédagogie; on y ajoute la gestion du "vivre ensemble" et de la violence ordinaire. Il s'agit à nos yeux de tendances lourdes qui ont des incidences sur la gestion des espaces éducatifs dans les cadres familial, scolaire, local (quartier) et de la cité.

- Tendance à l'individualisation

    La montée du thème de l’individu n’est pas la victoire de l’égoïsme sur le civisme, elle est l’expression d’un processus historique qui a institué, pour le meilleur et pour le pire, la responsabilité à l’intérieur de nos corps. Le "nouvel individualisme" signale moins un repli généralisé sur la vie privée que la montée de la norme d’autonomie: se comporter en individu signifie décider de sa propre autorité pour agir par soi-même, avec les libertés, les contraintes et les inquiétudes qu’une telle posture implique. Ehrenberg A., 1995.

Avec une histoire de la prison qui est en même temps une microphysique du pouvoir, M. Foucault (1975)(6) annonce une nouvelle ère de la politique, une nouvelle modalité de l’existence, la modalité du pouvoir, car les sociétés de normalisation sont d’abord des sociétés de l’individualisation et de la différenciation individuelle :

    Le pouvoir est partout, il n’a pas de domaine propre. C’est une modalité de l’être, révélée dans le contexte de mai 68, de la critique des totalitarismes, de la naissance de tous ces mouvements qu’on dira " gauchistes ", qui n’épouseront pas la forme d’un parti, mais la recherche de nouvelle formes d’existence, autour en particulier de la sexualité (féminisme, homosexualité), soit de nouvelles modalités d’exercice d’une fonction (médecine, justice). La question politique se trouvait déplacée vers de nouveaux lieux de problématisation, que Foucault qualifiera de " quotidien ". Il s’agissait bien de " changer la vie ", mais au sens de changer sa vie, de changer son rapport à soi-même et aux autres à travers ce qui nous lie à nous-mêmes et aux autres dans la vie quotidienne.

Pour bien comprendre la situation apparemment paradoxale d'une "société d'individus", Castel (2001) ne sort pas d'un cadre d'explication sociologique, il ne quitte pas des yeux les règles du jeu social :

    La question de fond ne se réduit pas aux oppositions abstraites des discours managériaux et entrepreneuriaux entre innovation et routine, goût du risque et repli frileux sur les protections, esprit d'initiative et obsession de la sécurité. Elle tient au fait que les individus qui ont à affronter les transformations actuelles sont différemment configurés face aux règles du jeu social - beaucoup moins en raison de différences de nature que de différences dans les ressources dont ils disposent pour mener le jeu ou pour être menés par lui, (p. 123).

    On peut devenir positivement un individu en acquérant une surface, une assise, de la consistance, en s'appuyant sur un certain nombre de biens, ou un certain nombre de droits. Ou bien on peut le devenir par décrochage par rapport à ces assises, par défaut. Mais c'est alors une tout autre façon d'exister comme individu (p. 120).

    Les individus sans protections sont aussi des individus et ils vivent cette situation comme des individus, ne serait-ce qu'à travers la souffrance d'être dans cet état. Mais d'un autre point de vue, on pourrait dire qu'ils sont moins des individus au sens de pouvoir développer des stratégies personnelles, d'avoir par eux-mêmes et pour eux-mêmes des marges de manœuvre (p. 121).

    En posant le principe de l'égalité entre les individus, en particulier sous la forme de l'égalité des chances, les sociétés démocratiques individualisent l'inégalité : si le jeu est ouvert et que tout le monde peut concourir et être classé selon son mérite, l'échec est imputable à l'individu lui-même (p. 93).

La dernière partie de cet extrait est limpide : pour affronter les transformations actuelles, soit l'individu dispose de certaines ressources et il peut mener le jeu, soit ces ressources lui font défaut et ce n'est pas lui qui mène le jeu… Autrement dit, pour mener le jeu et pour être autonome (propriété de soi), l'individu a besoin de supports ou de ressources matérielles et immatérielles. Castel attribue au terme "support" la signification de condition objective de possibilité ou de "capitaux" au sens de Bourdieu :

    c'est la capacité de disposer de réserves qui peuvent être de type relationnel, culturel, économique, etc., et qui sont les assises sur lesquelles peut s'appuyer la possibilité de développer des stratégies individuelles (…). Au contraire des individus tombent dans la sujétion lorsqu'ils n'ont pas eux-mêmes de quoi conduire leur vie en mobilisant des ressources qui puissent assurer leur indépendance, p. 30, p. 33.

Nous codons aujourd’hui une multiplicité de problèmes quotidiens dans un langage psychologique, alors qu’ils étaient énoncés, il y a encore peu, dans un langage de revendication, de la lutte et de l’inégalité. On comprend alors que l'ébranlement, et à la limite l'effondrement de ces appartenances collectives puissent compromettre, et à la limite invalider, cet accomplissement de l'individu moderne.

- Tendance à la désinstitutionnalisation

L'Etat-providence ou l'Etat social est bien entendu un Etat de droit qui assure la protection sociale des citoyens et des individus. Dans le passé, l'autorité de l'Etat se traduisait par l'imposition de règles hiérarchiques (démonstration de sa puissance), alors qu'aujourd'hui l'autorité étatique n'est plus ce qu'elle était, elle subit une crise qui touche tous les détenteurs traditionnels du pouvoir institutionnel; elle est de plus en plus souvent déléguée, médiatrice et régulatrice :

    L'autorité de l'Etat, de ses agents et représentants, était parfaitement claire et reconnue dans les années 50 et 60. On a assisté dès lors à un retrait symbolique et à une perte d'autorité de l'Etat en général, et de ses représentants en particulier… On est passé en quelque sorte du gouvernement direct à une intervention plus indirecte, déléguant à des instances associatives ou locales l'intervention publique. La croyance en la toute-puissance de la régulation centrale, qui forme le cœur du mythe républicain français par exemple, s'est largement estompée (7).

Le juriste J. de Munck (2001) a fort bien analysé cette érosion de l'autorité hiérarchique en désignant le passage d'une régulation de contrôle (verticale) à une régulation autonome (horizontale) dans l'organisation. Le modèle de gestion de l'organisation (entreprise, école, service public ou privé) est désormais sans cesse changeant, il est situé (appréhendé "en situation", de manière contingente). Selon lui, les dispositifs en train de s'inventer formalisent la régulation autonome :

    Le modèle formel et rationnel, porté par l'Etat et par les grandes organisations, n'a pas disparu, pas plus que les références à l'autorité religieuse, mais il est en crise. La régulation de contrôle, caractéristique du modèle légal rationnel est méconnaissable. Nous sommes aujourd'hui entrés dans un nouveau modèle, dit "rationnel négocié". L'une des raisons de cette transformation est que les sciences humaines et sociales, de plus en plus diffusées dans les fonctionnements sociaux, ont montré l'importance des acteurs, de leurs savoirs et compétences pour la mise en œuvre des normes et de l'action.

    Le nouveau régime d'autorité est fondé sur la production de savoirs, de compétences et de normes au niveau des acteurs sociaux eux-mêmes, qui de ce fait contestent et discutent les règles des institutions. L'ossature des nouveaux rapports d'autorité résiderait dans la fixation de cadres et de valeurs générales plutôt que dans les lois et les règlements précis et prescriptifs. Les détenteurs de l'autorité ont aujourd'hui plutôt comme tâche de fixer les limites, les principes, objectifs et références à respecter dans les négociations entre les individus. Le temps des notes de service détaillées et obligatoires, le temps des agents s'abritant derrière un règlement qui prévoit tout est en passe de finir. L'autonomie, la discussion et la démocratisation sont aujourd'hui encadrées de manière plus informelle. Le contrôle naguère visible et scrupuleusement codifié se fait distant, il peut même semble s'effacer.

L’école n'est pas moins "contaminée" par la désinstitutionnalisation que ne le sont d'autres institutions :

    L’expérience sociale des acteurs de l’école procède d’un processus général de désinstitutionnalisation bien plus que d’une simple crise de l’appareil scolaire. L’école ne peut plus être considérée comme une institution, à la manière classique où l’entendaient Emile Durkheim ou Talcott Parsons par exemple, c’est-à-dire comme un dispositif fortement intégrateur Dubet (2001).

A la désinstitutionnalisation, on peut associer la perte d'autorité des professionnels dans les secteurs religieux, scolaire, du travail social, de l'animation socioculturelle, etc. Ruano-Borbalan (2001) fait par exemple référence à l'autorité des enseignants et montre son érosion depuis environ 40 ans :

    Il existait alors, jusque dans les années 60, une connivence entre les maîtres et leur public, car les instituteurs étaient les fils du peuple qui enseignaient au peuple, et les professeurs, les fils de la bourgeoisie qui enseignaient à la bourgeoisie. La massification et l'unification des systèmes d'enseignement, à partir des années 60 et surtout après la création du collège unique en 1975, ont fait de l'école un enjeu de reproduction et de production des positions sociales absolument essentiel. Dès lors, estime F. Dubet, le savoir est plus considéré du point de vue des utilités que du point de vue des significations culturelles qu'il porte.

    L'autorité des enseignants ne peut plus passer massivement par la contrainte physique, même si les punitions, voire les brimades demeurent dans certains cas. D'où leur désarroi face aux mutations des attentes des élèves, et encore plus face aux incivilités et à la microviolence, qui se sont développées depuis les années 70. La prise en compte de plus en plus nette du problème s'est orientée vers une volonté de renforcement de l'autorité institutionnelle : valorisation du rôle de l'établissement scolaire, renforcement de l'autorité des chefs d'établissement, mais aussi régulation accrue et intervention de personnels de surveillance en nombre supérieur.

R. Castel (2001) souligne encore que la perte des appartenances collectives, la déstandardisation du travail et la généralisation de l'individu flexible ne signifient pas que les contraintes sociales ont disparu. Au contraire, elles sont toujours à l'œuvre, mais elles sont moins visibles et moins "lisibles" que par le passé. Il fait donc l'hypothèse de l'illisibilité croissante des contraintes sociales : "

    Ce serait parce que l'individu contemporain n'aurait plus à affronter des noyaux visibles de conflictualité - comme la lutte des classes au cœur de la société industrielle - qu'il se trouverait dans l'impuissance, "en panne", au sens où il n'aurait plus conscience de buter sur des obstacles, de s'affronter à des limites (p. 148). L'anomie à la fin du XIXe siècle, ou ce que j'ai proposé d'appeler aujourd'hui la désaffiliation, nomment des situations de décrochage. Cela signifie que les individus ne sont plus inscrits dans des régulations collectives, qu'ils ont perdu leurs assises ou leur supports et qu'ils se mettent à flotter parce qu'ils n'ont plus de repères (pp. 115-116). En réalité, les formes de contrainte sont devenues très lointaines, obéissent à des mécanismes très puissants, de type économico-financier ou technologique, face auxquels l'individu n'a plus de contrôle" (p. 151).

- Tendance au renforcement de la compétition

Des employés et des cadres sont désormais soumis à une telle compétitivité dans l'entreprise que ces conditions de travail mettent en danger leur intégrité mentale et physique. Cette violence de la compétition est une violence relativement bien canalisée, elle est en même temps assez bien cachée. Il faut en effet avoir ses entrées régulières dans l’entreprise pour pouvoir observer la compétitivité en acte qui n'est rien d'autre qu'une nouvelle forme d’exploitation. Ce sont les travaux pionniers de C. Dejours qui ont permis de lever une partie du voile au sujet des effets pervers de la "guerre économique" sur les conditions de travail dans l'entreprise [Travail, usure mentale, 1980, et surtout Souffrance en France. La banalisation de l'injustice sociale, 1998]. Dans Le Salarié de la précarité, 2000, S. Paugam apporte également la preuve que l'accès à l'emploi ne met plus systématiquement à l'abri de la pauvreté matérielle ou de la détresse psychologique.

A l’école, on observe aussi les effets de la compétition. Dans Les Lycéens, 1991, F. Dubet souligne que ces jeunes (relativement privilégiés) vivent comme une forte contradiction le double espace où ils affrontent
1. le libéralisme du marché : la rude compétition économique entre les apprenants (subir sa vie) et 2. le libéralisme culturel : la réalisation de soi et la coopération entre jeunes (choisir sa vie).

    Les élèves aiment le lycée parce qu’il leur accorde une liberté " privée " importante, souvent plus grande que celle de la famille. On y choisit ses amis et ses amours, et tout autour du lycée les cafés accueillent, dès le matin, dans les heures creuses, ou le soir, toute une vie hors des regards de l’école et de la famille (…). Le couple formé par l’instrumentalisme et l’expressivité est perçu comme une contradiction et un drame par la grande masse des élèves qui ne parviennent pas à gagner sur les deux tableaux, qui ont l’impression de se détruire dans leurs efforts d’adaptation ou qui ne réussissent pas à devenir des stratèges efficaces. Il n’est pas facile d’être performant, " bien dans sa peau " et " sincère ".

Castel (2001) fait d’ailleurs aussi référence aux travaux de Dubet, il cite cet auteur pour montrer que le système scolaire agit en réalité comme une pompe aspirante, puis refoulante:

    Désormais les élèves ne sont plus sélectionnés à l'entrée du système, ils le sont donc en cours de route, en fonction de leurs performances. Même si ces performances continuent à dépendre dans une très large mesure de caractéristiques sociales l'échec devient imputable à l'individu parce que c'est effectivement lui qui n'a pas réussi, et non sa classe qui l'a exclu (p. 94). Paradoxalement donc, le fait d'être tenu pour égaux creuse la différence entre ceux qui réussissent et ceux qui échouent. Ils restent comparables, mais à l'avantage des uns et au détriment des autres (p. 95).

Dans la conclusion à leur vaste étude publiée en 2001, Scolarité et adolescence. Les motifs de l’insécurité (8)Clémence A., et al. manifestent l'inquiétude des chercheurs face aux tensions entre élèves et enseignants, aux incivilités, au harcèlement dont le racket est le prototype, à la violence ordinaire et à l'insécurité que connaissent les écoles du secondaire obligatoire en Suisse romande :

    Nous en venons à la question dont nos résultats indiquent qu'elle devrait être traitée en priorité. Il s'agit de l'insécurité éprouvée profondément par une proportion importante d'élèves. Cette question est centrale dans le sens où elle concerne l'établissement scolaire dans son ensemble et qu'il paraît difficile de mettre en place des mesures ponctuelles sans d'abord offrir un cadre sécurisant. En outre le sentiment d'insécurité n'est pas seulement un problème de souffrance provoqué par des agressions, mais également celui que génère l'échec scolaire ou sa crainte. Les entretiens que nous avons présentés offrent à cet égard un éclairage particulièrement direct et préoccupant. Si nombre de projets d'établissement se penchent sur la question de l'identité psychosociale de l'élève - estime de soi, assurance, épanouissement -, ils devraient indéniablement lier ces dimensions classiquement référées au domaine éducatif avec les dimensions pédagogiques de l'enseignement. Comme certains élèves l'ont dit, une valeur négligée à l'école est peut-être simplement l'humour, écrasée par les pressions à la réussite et les déconvenues apathiques ou furieuses de l'échec.

Dans la mesure où certaines familles deviennent désormais "consommatrices d'école" (marché de la formation scolaire et professionnelle, utilitarisme), il en résulte que nombre d'enfants et de jeunes "sous pression" et en difficulté éprouvent de l'insécurité au cours de leur scolarité. Cette question est centrale dans la mesure où, en effet, le sentiment d'insécurité n'est pas seulement un problème de souffrance provoqué par des agressions, mais également celui que génère l'échec scolaire ou sa crainte.

Autonomisation de l'établissement scolaire (9)

Les politiques éducatives et les réformes de l'école attribuent aujourd'hui une place prépondérante à l'établissement dans la gestion quotidienne des affaires scolaires. L'école ne subit pas simplement ce qui lui vient de l'extérieur, beaucoup dépend de ce qu'elle fait de ce que les enfants et les jeunes apportent de leur milieu et de leur expérience de vie. Compte tenu de la diversité des élèves et des enseignants, la construction de l'accord entre les partenaires devient fondamental. D'autant plus qu'il faut apprendre à "vivre dans plusieurs mondes" en ne partageant pas nécessairement la même conception du bien commun ou de l'intérêt général. Au-delà des rénovations du plan d'études et du curriculum, on s'intéresse désormais aux processus de socialisation et on réfléchit collectivement à l'amélioration de la qualité de vie dans la communauté éducative - qu'il s'agisse de lutter contre l'échec scolaire (l'absentéisme, le retrait ou le décrochage) ou de prendre en charge les problèmes de violence ordinaire.

La communauté éducative composée d'une pluralité de mondes

Diriger, animer et surveiller une entreprise éducative qui comprend plusieurs centaines d’élèves, autant d’enfants et de jeunes, plusieurs dizaines d’enseignants et un nombre plus restreint d’autres intervenants, des parents et les gens du voisinage n’est pas une mince affaire. Il s’agit donc de trouver de multiples arrangements pour concilier des orientations différentes, des intérêts opposés, des logiques d’action divergentes, des situations paradoxales, des valeurs et des normes parfois contradictoires et quasi inconciliables. Ainsi l’analyste est-il confronté à la complexité !

Tout collège est ouvert sur un ou des quartiers. Si cet environnement social local est considéré comme relativement difficile, on pense en bonne logique que l'établissement va être le théâtre où se jouent et se rejouent des conflits ou des contradictions présentes à l’extérieur.

Cette définition peut conduire à penser que les difficultés vécues à l’intérieur – qu’il s’agisse des apprentissages, des comportements, des façons d’être - sont attribuables au milieu d’origine des enfants, à leurs difficultés d’intégration pour certains, à certaines formes d’exclusion pour d’autres, à leur insuffisante maîtrise de la langue du pays d'accueil, etc. Cette manière de voir n'est pas totalement erronnée, mais il faut prendre en compte le degré d'autonomie de l'école dans la gestion des rapports entre l'extérieur et l'intérieur.

Qu'on se comprenne bien, on ne défend pas ici la thèse selon laquelle l'extérieur (la structure démographique du quartier et la position des familles dont sont issus les élèves) n'aurait aucune influence sur l'établissement scolaire. On sait bien en effet que les problèmes quotidiens sont très différents dans un collège situé dans un contexte social "haut de gamme" ou situé en milieu populaire. Mais, sous l'angle de l'action des partenaires de l'école, ce qui se joue à l'intérieur est fondamental - cela d'autant plus lorsqu'il s'agit d'accueillir et d'intégrer des populations "difficiles", c'est-à-dire des jeunes issus de familles socialement et culturellement défavorisées et/ou de migration récente.

Ce qui fait alors la différence, c'est : le type de leadership dans l'école, le climat de l’établissement, les réseaux de relations qui se créent entre enseignants, les rapports entre les enseignants et la direction, les relations entre les enseignants et les élèves (et les familles), les rapports entre les élèves eux-mêmes.

Placés dans un environnement analogue, avec le même type de population, les établissements se différencient souvent fortement, aussi bien en ce qui concerne les résultats des élèves qu’en ce qui concerne la façon de régler les problèmes du " vivre ensemble ". En d’autres termes, si la frontière entre l’école et son environnement est poreuse, elle ne laisse pas passer n’importe quoi et tous les établissements ne font pas la même chose de ce qui traverse la frontière. Ni la violence, ni l’échec scolaire ne sont des fatalités imposées de l’extérieur. Tout dépend, ou plutôt beaucoup dépend de ce qui se joue à l’intérieur.

En ce domaine, les recherches mettent en lumière ce qu’on appelle un " effet établissements " d’une part sur les résultats des élèves(10) et d’autre part sur le climat de l’école et les phénomènes de violence. A ce sujet, Debarbieux (11)note dans un texte de synthèse portant sur la violence à l’école :

    Les facteurs internes liés à l’organisation des établissements scolaires sont des variables importantes quant à la fréquence des atteintes délinquantes dans ces établissements. Ainsi les conflits dans les équipes adultes sont à l’origine d’effets-établissements négatifs. A l’inverse, la mobilisation collective à l’intérieur des établissements nous semble capable d’expliquer des effets-établissements largement positifs, p. 405.

Certes, en matière de violence notamment et comme le montrent toutes les recherches françaises en ce domaine, les facteurs socio-démographiques sont explicatifs et dominants. Mais l’établissement est loin d’être impuissant et sans effet (12).

Dans un environnement difficile, les exigences adressées au corps enseignant sont plus grandes : exigence de cohésion, de cohérence dans les règles et dans les interventions. Cette cohérence exige davantage de concertation, de discussion, de dialogue entre enseignants. L’incivilité entre enseignants constitue sans doute un obstacle majeur à la construction de l’accord nécessaire. Il paraît difficile de dire qu’elle se transmettrait comme par " contagion " aux élèves et expliquerait l’incivilité de ceux-ci. On peut sans doute affirmer que la qualité des rapports entre collègues est une condition nécessaire à la recherche d’une cohérence dans le travail avec les élèves.

On rappellera aussi que dans les collèges de milieu populaire qui " réussissent ", on a constaté que la rigueur de l’encadrement allait de pair avec la qualité et la chaleur des relations entre élèves et enseignants. On voit mal comment cette qualité de relations pourrait exister entre enseignants et élèves si elle n’existe pas ou pose problème entre enseignants.

Vivre ensemble : la construction de l’accord

Ce qui rend difficile l’accord et la mobilisation collective dans un établissement ne tient pas simplement à la bonne ou à la mauvaise volonté des enseignants, ou à la qualité de l’équipe de direction, ou à la plus ou moins grande homogénéité du corps enseignant. Cela tient d’abord à certaines caractéristiques des sociétés modernes, devenues pluri-culturelles, pluri-lingues, pluri-religieuses… Bref des sociétés qui ne partagent plus les mêmes valeurs ni les mêmes conceptions du bien commun ou dans lesquelles coexistent des définitions différentes du bien commun, qui peuvent toutes prétendre à la légitimité ou dont aucune ne peut être considérée comme non pertinente ou non avenue dans son domaine.

Cette pluralité des " mondes " ou des principes de justice (Derouet, 1992) a de multiples conséquences, en particulier au niveau de l’école. L’école est par excellence au service du bien commun. Que devient-elle lorsque coexistent plusieurs définitions du bien commun ? Il en résulte que les enseignants ont des définitions divergentes et différentes de ce qu’est une " bonne école ", ou une " école juste ", ou tout simplement de ce que doit ou devrait être l’école. En d’autres termes, lorsqu’on s’interroge sur ce qu’il est juste de faire à l’école ou de ce qu’il convient d’entreprendre pour améliorer le fonctionnement de l’école, plusieurs réponses sont données, dont aucune ne peut prétendre à être la seule légitime. Chacun, en fonction de son expérience, de sa formation, de ses choix idéologiques, de sa place et de son rôle dans l’institution, etc., tend à privilégier une conception particulière :
Une bonne école, ce peut être une école qui traite tous les élèves également, qui leur accorde la même dignité de personnes et de citoyens ; si apparaissent des différences, elles tiennent à ses dons initiaux, au mérite de chacun, à son effort, à son application ; elles ne tiennent pas à l’école. Le but finalement, c’est de constituer une élite pour la nation (principe de justice " civique " ou " républicaine ").

Une bonne école, ce peut être une école qui assure le bien-être de tous les élèves, qui crée les meilleures conditions de leur épanouissement, qui doit permettre à chacun de se constituer en sujet autonome. Qu'il s’agisse des meilleurs sur le plan scolaire ou des moins bons, tous ont droit à vivre dans une communauté harmonieuse dans laquelle ils se sentent acceptés pour ce qu’ils sont et dans laquelle ils soient en mesure d’affirmer leur individualité, leurs choix personnels, leur qualité de sujet (principe de justice " domestique " ou " communautaire ").

Une bonne école, ce peut être aussi une école qui se donne les moyens de la plus grande efficacité pour tous ; tous doivent parvenir à mettre en valeur toutes leurs potentialités. Il s’agit dès lors de trouver les moyens les meilleurs pour atteindre cet objectif pour tous, en prenant en compte les différences entre élèves, plutôt qu’en les traitant tous de la même façon, ce qui conduirait à reproduire les inégalités de départ (principe de justice dit " industriel " ou de l’efficacité).

Une bonne école, ce peut être aussi une école qui a acquis une réputation, un renom, qui est bien cotée, qui a une bonne image à l’extérieur, ce qui crée des relations de confiance entre l’école et les parents par exemple – et ce peut être là une source d’efficacité pour l’école - (principe de justice " marchand"). Même si ce principe de justice paraît davantage présent dans les systèmes où les parents ont le choix de l’école, il est à la base de comparaisons entre écoles ou collèges, de " réputations ", de " on-dit " qui circulent même dans les systèmes d’enseignement qui ne connaissent pas le choix de l’école.

Il n’est pas rare que ces principes de justice s’inscrivent dans la pierre, dans l’architecture, dans l’aménagement de l’école et des salles de classe. Ils se marquent aussi dans le style d’enseignement, dans la façon d’être de l’enseignant avec les élèves…

Il semble que ces principes de justice coexistent chez les enseignants, les uns étant plus proches de l’un, les autres plus proches de l’autre, selon des choix personnels, selon le niveau d’enseignement , etc.

Cependant, cette coexistence de définitions concurrentes d’une école " juste " ou d’une " bonne école " n’a pas dans les faits la clarté que nous lui donnons ici. Le passé se poursuit en effet dans le présent. Et surtout plusieurs principes de justice coexistent dans chacun de nous, selon les moments, selon la discipline enseignée, selon même les groupe d’élèves.

Cette coexistence de principes de justice concurrents, et tous légitimes – il faut y insister – rend difficile la construction d’un accord, d’abord au niveau central, puis au niveau local :

    L’institution, si l’on veut continuer à parler ainsi, est recomposée et redéfinie au niveau local dans un travail d’autoproduction de normes. On sort peu à peu de la hiérarchie institutionnelle où les valeurs partagées assurent la régulation des rôles et l’ajustement des personnalités. Les individus, qui étaient l’aboutissement, du processus institutionnel, passent au sommet de la hiérarchie de l’action ; la subjectivité, qui était conçue comme l’intériorisation des contraintes sociales devient le centre de cette intégration ", Dubet & Martucelli (1998).

En d’autres termes, on ne peut plus faire comme si, d’emblée, tout le monde partageait les mêmes valeurs. L’accord lui-même n’implique pas que chacun renonce à ce qui lui paraît le plus essentiel, mais il exige beaucoup plus la construction de compromis provisoires, d’agencements plus ou moins solides qui permettent l’action commune et la cohésion de l’ensemble, en se souvenant que les élèves eux-mêmes vivent dans plusieurs mondes, en dehors de l’école (famille et groupes de pairs) et à l’intérieur de l’école, lorsque par exemple ils passent d’un enseignant à l’autre.

Il est probable que le travail de " ré-institutionnalisation ", de reconstruction et de négociation des règles devrait être permanent, moins au sens où on changerait en permanence les règles de base, mais dans le sens qu’il ne suffit plus d’imposer d’en haut des règles aux élèves, mais que ces règles doivent pouvoir être discutées. Peut-être faut-il insister ici sur le fait qu’on ne peut pas simplement inculquer d’en haut des règles ; dans le travail de socialisation, les élèves sont actifs, ils réagissent à ce qu’on leur impose, ils doivent pouvoir s’approprier activement les règles (ce qui suppose qu’elles existent). La question est d’abord de savoir ce qui rend possible aux élèves cette appropriation active des règles et ce travail de construction des règles. D’où l’exigence du dialogue, mais dans un cadre fort (c’est-à-dire que le maître reste en permanence le garant du respect des procédures de discussion). D’où l’intérêt du conseil de classe, ou du conseil d’élèves (au niveau du collège), à condition toutefois que le rôle de ces conseils, les problèmes qu’ils traitent, la façon dont ils sont traités soient clairement définis (voir aussi chapitre suivant).

D’où aussi l’importance de la publicité accordée aux règles du collège qui devraient être communiquées aux parents et, si nécessaire, discutées avec eux. Il ne suffit plus, me semble-t-il, d’imposer des règles d’en haut, il faut pouvoir les justifier aux yeux des parents, en montrer le bien-fondé, écouter les objections ou les remarques dont elles peuvent faire l’objet de leur part.

Exercice de l’autorité éducative

Il s’agira ici non plus de la relation entre adultes et de la construction de l’accord entre eux, mais des relations entre adultes et enfants et de la construction de l’accord ou des règles qui régissent leurs relations. Etant donné la complexité du problème, on s’en tiendra ici à quelques remarques qui pourraient servir de base de réflexion(13) .

L’autorité éducative est fondée sur la donnée anthropologique fondamentale de l’inachèvement de l’homme à sa naissance et de la nécessité où se trouve l’enfant de vivre plusieurs années sous la dépendance de ses parents et des adultes en général pour sa survie et pour son accès à l’âge adulte.

C’est sur cette donnée anthropologique que se fonde pour une part essentielle l’autorité de l’adulte. Toutefois le bien-fondé de cette autorité n’apparaît plus aujourd’hui avec la même transparence et la même évidence qu’autrefois.

L’autorité du maître a perdu aussi la légitimité que lui accordait l’institution : ce n’est pas parce que j’ai un statut d’enseignant que les élèves me respectent nécessairement. Mon autorité, j’ai constamment à la construire et à la reconstruire devant les élèves.

    On pouvait caractériser le jeu de l’institution par l’emprise du rôle sur la personnalité ; le maître, comme le prêtre, incarnait des principes qui le dépassaient et auxquels il ajoutait son talent et son caractère. Le rôle était devant la personnalité. La désinstitutionnalisation projette les relations interpersonnelles et subjectives sur le devant de la scène. Ce basculement vers une " psychologisation " des relations s’explique par des raisons très pratiques. D’une part, les ajustements anciens ayant disparu, le maître ne peut plus s’appuyer sur des publics captifs et captivés, connaissant toutes les règles implicites du sérieux scolaire. La " motivation " des élèves doit être construite par l’enseignant qui ne peut plus se borner à jouer son rôle. Il doit au préalable échafauder la relation qui lui permettra de jouer ce rôle. L’enseignement est une mise à l’épreuve directe de la personnalité pour les élèves et pour les maîtres. D’autre part, le professeur doit aussi hiérarchiser et combiner les finalités de l’enseignement. Il ne peut plus travailler sur un seul registre puisqu’il doit réaliser des tâches contradictoires : assurer l’intégration du groupe, hiérarchiser les performances, veiller à la personnalité des individus. Il réalise ce travail en fonction des conditions de son expérience et aussi de ce qu’il est, de son histoire propre, de ses engagement, de son caractère... Une myriade d’ajustements se substitue aux grands modèles de l’institution Dubet et Martucelli (1998).

D’un autre côté, on note le maintien difficile de l’asymétrie entre adultes et enfants, du fait dela tendance à l’égalisation des conditions entre adultes et enfants :

    - par le biais de la télévision (voir les travaux de Neil Postmann : le langage télévisuel apparaît directement accessible à l’enfant, sans apprentissage préalable, ce qui ne vaut pas pour l’accès au livre) ;

    - par le biais des modèles de consommation et de la " culture jeune " (les médias et les modèles de consommation imposent une culture jeune spécifique sans rapport de subordination direct à la culture des adultes) ;

    - par le biais de certaines formes de l’idéologie de l’enfant (voir les ambiguïtés de la déclaration des droits de l’enfant, dans laquelle se trouvent associée une approche qui définit la responsabilité des Etats et des adultes en général vis-à-vis des enfants et une approche centrée sur les droits de l’enfant inspirée de la déclaration des droits de l’homme).

Compte tenu de cette évolution, ce qui paraît devoir changer, ce n’est pas le principe même de l’autorité de l’adulte et ses fondements anthropologiques, ce sont avant tout les modes d’exercice de l’autorité. Dans l’expérience même des élèves, ce principe se trouve sans cesse contredit, gommé parfois ou seulement " troublé " par l’effacement des différences dont il a été question plus haut. L’adulte a beau réaffirmer son autorité, " ça ne passe pas " ou ça passe mal, si bien que le maître ne peut se dispenser d’impliquer davantage l’élève dans la construction de la relation d’enseignement. Alors que " l’institution " procédait par inculcation lente, à doses homéopathiques, de normes et des règles liées au statut du maître, la reconstruction de la relation se fait presque au jour le jour, dans un travail où se mêlent la séduction, l’habileté stratégique du maître dans le contrôle de ses élèves, la discussion, la négociation, l’instauration de nouveaux rituels.

De ce fait, l’autorité de l’adulte se marque beaucoup plus dans le fait qu’il est le garant du cadre des apprentissages et du cadre des interactions. Elle se marque dans la présentation de soi, dans le cadre quotidien, par le biais de rituels grâce auquel l’élève perçoit qu’il est là pour apprendre et pour accéder à l’univers de la raison. Par les institutions provisoires qu’il met en place (le conseil de classe ou le conseil d’école par exemple), le maître met en lumière le fait que les règles doivent être, même si elles sont partiellement négociées, ou même négociées au jour le jour dans le cadre de la classe.

De telle sorte que si l’autorité demeure et elle le doit pour des raisons anthropologiques, elle ne pourra plus s’exercer avec la même force et avec la même évidence que dans les sociétés traditionnelles (bien qu’il ne faille pas idéaliser les sociétés traditionnelles, en ce domaine).

Le constructivisme en pédagogie

Un colloque " Constructivismes : usages et perspectives en éducation " a réuni plus de 400 participants en septembre 2000 à Genève. Organisé par le Service de Recherche en Education du canton de Genève (SRED) avec le soutien de la Fondation Archives Jean Piaget, de la Faculté de Psychologie et des Sciences de l’Education de l’Université de Genève et du Fonds National Suisse de la Recherche Scientifique, ce colloque avait pour objectif principal d’établir un bilan des usages du constructivisme tant sur le plan de l’éducation que sur celui des sciences qui l’étudient (14).

    Le constructivisme épistémologique de Piaget et ses conséquences pour l’éducation
    Comme on le sait, une bonne partie de l’œuvre piagétienne a pour but de résoudre des problèmes épistémologiques portant sur l’origine, la signification et la valeur des connaissances scientifiques. Pour résoudre ces problèmes, et tout en s’appuyant sur les données connues de l’histoire des sciences, Piaget a largement recouru à une démarche originale : étudier la genèse chez l’enfant des grandes catégories de la pensée scientifique (classe logique, relation logique, nombre, espace, temps, causalité, quantités physiques, etc.). Cette étude a abouti à toute une série de thèses expérimentalement fondées.

    La première de ces thèses est la plus fondamentale du point de vue constructiviste. L’étude psychogénétique des catégories chez l’enfant montre que les connaissances scientifiques ont leurs racines dans l’activité humaine et dans l’organisation biologique qui la supporte, qu’elles ne sont donc pas le pur et simple reflet d’une réalité toute faite. Elles s’inscrivent dans le prolongement des conduites et des notions intellectuelles que l’intelligence animale puis humaine a progressivement construites pour résoudre les problèmes que soulèvent les échanges avec les réalités physiques, biologiques et sociales. En d’autres termes, et pour le dire de la manière la plus sommaire qui soit, il y a du nombre, de l’espace, du temps, de la causalité, mais aussi de la logique, et même des règles de conduite sociale chez l’enfant, voire chez l’animal, qui précèdent la constitution des sciences au sens où on les entend aujourd’hui.

    L’examen attentif des données recueillies met en évidence l’existence de stades successifs dans la maîtrise du nombre, de l’espace, du temps, etc. chez l’enfant, stades au cours desquels on observe une intégration partielle ou totale des acquisitions antérieures dans celles qui leur succèdent, ou en un mot une intégration du dépassé dans le dépassant.

    Si l’on accepte le constructivisme épistémologique que propose Piaget en le justifiant avec des arguments solidement étayés par un nombre considérable de recherches psychogénétiques, alors une première conclusion très forte s’impose au monde de l’éducation : l’éducateur ou l’enseignant doit pouvoir trouver chez l’enfant lui-même le premier allié qui permettra de faire acquérir à ce dernier des connaissances de portée générale.

Conflit et violence ordinaire (15)

Suite aux violences urbaines - fortement médiatisées - survenues à Genève en mai 1998 autour de la réunion interministérielle du 50ème anniversaire de l'Organisation mondiale du commerce (OMC)(16) , un Forum a été organisé à fin septembre 1999 autour du thème : Société et violence : vivre ensemble dans le respect de chacun.

Dans la préface au Livre blanc issu de ce Forum(17) , Mme Brunschwig Graf, présidente du Conseil d'Etat en 1999 et chargée du Département de l'instruction publique s'exprime ainsi au sujet du rôle que l'école peut et doit jouer en matière de prévention de la violence ordinaire :

    L’école est concernée au premier chef. De par la loi sur l’instruction publique, elle a aussi pour mission d’assurer l’intégration des jeunes qui lui sont confiés, de leur donner les repères nécessaires pour vivre dans une communauté multiculturelle qui sache respecter chacun des membres qui la composent. L’éducation à la citoyenneté, présente dès l’école primaire, est désormais inscrite dès la rentrée 2000 à la grille horaire du Cycle d’orientation. Au-delà de l’enseignement, il faut y voir une volonté forte de l’autorité scolaire de marquer l’importance de la démarche conduite par les enseignants. La préparation à la citoyenneté peut revêtir bien des formes. Je suis certaine que l’école genevoise saura faire preuve de pragmatisme et d’imagination et s’appuyer sur la cité pour parvenir à remplir encore mieux sa mission, p. 5.

    Le conflit n'est pas la violence et la violence n'est pas le conflit
    Les acteurs qui s'opposent dans un conflit sont des adversaires, et non pas des ennemis, et même si tout n'est pas négociable dans un conflit, celui-ci est le contraire de la violence, qui ferme l'espace de la discussion et du débat au profit de la rupture et du seul rapport de force, M. Wieviorka (18).

La culture du conflit caractérise parfaitement le secteur politique. Les parlements sont par exemple des lieux où les idées des adversaires s'affrontent et se négocient en permanence, des lieux où se déroule ouvertement et publiquement un débat conflictuel. La violence en revanche n’est pas politique, en ce sens qu'elle s'avance masquée et qu'elle ne se donne pas à voir publiquement.

La culture du conflit est une culture (de clarification des positions) où les différences se discutent, où les idées s’affrontent et où le débat a bien lieu pour qu’il y ait au moins à un certain moment une majorité et une minorité qui se dégagent. Il en résulte qu'on applique la décision prise par la majorité - et la minorité se plie à la décision majoritaire.

Quelle est notre philosophie de la violence ?

Quelles images véhiculons-nous au sujet de la place de la violence dans nos vies et dans les sociétés humaines ? Pour poser un jalon dans l'espace des réponses possibles, citons Yves Michaud(19) , un expert qui définit sans doute ici une position partagée par tous les spécialistes de la question :

    Il faudrait commencer par des images de la violence. N’importe lesquelles - ou presque. Elles manifestent toujours suffisamment la violence humaine extrême et le plaisir que l’homme peut prendre à elle. D’où une première remarque, sur laquelle je ne reviendrai plus mais qui devrait rester constamment présente à notre esprit : l’être humain est un être capable de tout, un être ultraviolent - et il ne sort de cette violence que par la domestication, au prix donc d’une répression. Telle est notre part maudite. Elle est en chacun d’entre nous. Mon propos ici n’est pas d’en chercher des explications, p. 749 (souligné par nous).

Si l'être humain peut être - et est parfois ou même souvent - ultraviolent (cf. par exemple Orange mécanique de Kubrick, 1971), la civilisation des mœurs n'en a pas moins gagné du terrain depuis le Moyen Age. Et la thèse d’Elias(20) donne une clé pour la compréhension des réactions de notre société face à la violence:

    le processus de civilisation des moeurs sous-tend chez l’individu l’apparition d’un contrôle de plus en plus sévère des pulsions, et entraîne également un abaissement du seuil de tolérance face à des comportements violents, ces derniers devenant peu à peu hors norme et tabous. Aujourd’hui, si le sentiment d’insécurité est aussi important au sein de nos sociétés, ce n’est certainement pas dû à une augmentation de la violence criminelle, mais plutôt à une sensibilité accrue face au moindre incident violent, considéré comme hors norme dans une civilisation telle que la nôtre.

Et Mark Hunyadi(21) propose une explication du même type quand il met en rapport certains faits de violence avec notre sensibilité morale - ce qui fait clairement apparaître que la violence est une construction sociale qui varie dans l'espace et dans le temps en rapport avec la sensibilité morale des sociétés et des populations :

    C’est qu’en réalité, parlant de la violence, on sait toujours déjà ce qu’elle est. On n’a pas besoin de la définir. Comme disait Paul Ricoeur dans un autre contexte : l’espace publique n’est moralement pas neutre à l’égard du concept de violence. La violence fait toujours partie de l’inacceptable. On sait ce que c’est qu’un acte violent, quand bien même on ne sait pas définir son concept. Cela veut dire que son concept est beaucoup plus problématique que son usage.

    Il me semble que lorsque nous ne tolérons plus la souffrance des animaux, ou lorsque nous refusons la violence à l’égard des enfants, lorsque nous dénonçons ce que Wieviorka appelait les conflits de civilité, ou lorsque nous pointons les projecteurs vers cette zone d’ombre qu’est la violence conjugale, à chaque fois ce n’est pas le concept de violence qui se précise, mais notre sensibilité morale qui s’élargit, ce qui est tout à fait différent, p. 219 et ss.

La montée des incivilités (chocs de civilités)

Selon un avis partagé par tous les spécialistes européens, il y a encore quelques années les incivilités n’étaient guère introduites dans les débats sur la violence, on ne prenait véritablement en compte alors que la violence physique et les crimes et délits. Or, les incivilités (conflits de civilités) sont désormais affichées comme l’expression dominante des faits de violence et comme le facteur explicatif numéro un de la montée du sentiment d’insécurité. Pour analyser l’interdépendance entre violence et insécurité, on est donc obligé de passer par les modes de vie des familles et des jeunes qui, dans certains pays européens, se trouvent dans des situations de survie.

Pour conserver aux faits de violence leur caractère diversifié, complexe et interdépendant, on fera référence ici à une configuration de facteurs (Violence ordinaire, 1999, tableau : F1 - F 7) et de concepts assez riche pour saisir et analyser les situations multiples dans lesquelles s’enracinent les violences de notre temps.

Cette configuration de divers facteurs et concepts est présentée en résumé dans le tableau ci-après. Elle concerne aussi bien le milieu scolaire que le milieu social proche au sein duquel s’inscrit la communauté éducative. Elle témoigne du fait que la violence n'est pas une fatalité : la violence est une construction sociale !

Tableau : configuration de facteurs et de concepts (F1 - F 7), caractérisant les faits et les situations de violence identifiables en milieu scolaire et dans la cité.

  • F 1: incivilité, choc de civilités, insécurité : civilisation ou brutalisation des moeurs, conflit de civilités, théorie de la vitre brisée (“broken windows”), dégradation de l’environnement local, petite délinquance, culture des rues, désorganisation sociale ;
  • F 2 : bullying (" brimade "): domination et soumission, raison du plus fort, "le loup et l’agneau ", menace, provocation, action intentionnelle ou stratégique ;
  • F 3 : violence physique, crimes et délits : agression, agresseur et victime, viol, racket, rapport à la loi, code pénal et justice, répression policière, sentiment de justice ou d’injustice, révolte, rébellion, émeute, loi de la jungle, zone de non-droit;
  • F 4 : déterminants sociaux et culturels de la violence : inégalité et exclusion sociales, précarité, vulnérabilité, désaffiliation, ségrégation, souffrance sociale (malaise, mal-être), anomie, galère, haine, immigration, indicateurs de précarité sociale (quartier, commune);
  • F 5 : violence institutionnelle : différenciation culturelle en milieu scolaire, homogénéité/hétérogénéité des publics, sélection et échec scolaire, disqualification, relégation, indicateurs de précarité scolaire, déscolarisation, indiscipline, absentéisme;
  • F 6 : gestion de la violence dans l’établissement scolaire : travail de prévention et de répression des faits de violence dans l’école et dans la communauté éducative (direction ou maîtrise principale, concierges, travailleurs sociaux, îlotiers, enseignants, parents), traitement des problèmes sociaux, projet d’établissement, équipe pédagogique, charte, contrat pédagogique, conseil de classe, conseil d’école, déviance tolérée ;
  • F 7 : rage de vivre et identité culturelle des jeunes : manifestation des cultures urbaines et des arts de rue (mouvements hip-hop et techno, génération glisse et culture “fun”), révolte, haine, individualisme, jeu symbolique avec la vie et la mort (conduites à risques et " destroy ", sports de combat et affrontements entre gangs), affirmation de soi et passage aux limites, défi à l’autorité et à l’establishment.

    Conséquences sociales des incivilités selon S. Roché (1998)
    Il y a une dizaine d’années, j’ai réalisé des entretiens auprès d’habitants de Grenoble, dans la perspective d’un rapport sensé traiter de la violence "réelle" (délinquance et criminalité). A ma grande surprise, il y était davantage question d’incivilités: telle dame se plaignait surtout de ce que les gens jettent leur ticket de tram, un autre de ce qu’un extincteur ait été vidé dans l’escalier de son immeuble. Ces incivilités renvoient à des faits peu graves mais qui ont des conséquences sociales importantes: elles remettent en cause l’idée de l’existence d’un "monde commun", pour reprendre l’expression d’H. Arendt, l’idée qu’il y a une vie collective possible, fondée sur l’échange, la communication, le respect mutuel. Or, à une époque marquée par la crise des institutions (Etat, Eglise…) cela a un effet dévastateur (souligné par nous).

La violence expliquée par des enfants de 7/8 ans

Pour illustrer le fait que la violence est bien une construction sociale, on se référera par exemple à un travail fait en sciences de l'éducation à l'université de Genève sur la perception qu'en ont des enfants de 7/8 ans(22) . L'auteur de l'étude, Sara Sturm, note que la définition que ces enfants de 2ème primaire donnent de la violence n'est jamais indépendante des exemples précis auxquels ils l'associent (23). Les verbes taper, crier, tomber, chatouiller, se moquer, voler, pleurer, ignorer, toucher quelqu'un, insulter, pousser, cracher ne sont pas des verbes qui, en soi, impliquent la violence.
Pour les enfants de cet âge, c'est le contexte de l'action et le sens que lui donnent les acteurs qui déterminent si c'est ou si ce n'est pas de la violence… Ainsi, par exemple, le rapport à la douleur leur permet d'expliquer le fait qu'il s'agit de violence (c'est de la violence parce que ça fait mal) aussi bien que le fait qu'il ne s'agit pas de violence (parce que ça ne fait pas mal).

Et les principaux critères utilisés par les enfants sont au nombre de six : la douleur, la moralité, la gentillesse, l'intention, la cause/la conséquence, la comparaison. Prenons quelques exemples :

le critère d’intention
Il s’agit non seulement de la distinction entre exprès/pas exprès, mais il signifie aussi que le comportement considéré comme violent ne surgit pas comme une fatalité : c'est quelqu'un qui le provoque. C'est violent, parce que c'est voulu, ce n'est pas violent quand on ne fait pas exprès !

le critère de conséquence et le critère de cause
Tomber n’est pas forcément considéré comme de la violence, mais si, en tombant, on se fait mal ou on saigne, tomber peut devenir de la violence. De même que pleurer n’est pas toujours de la violence, mais si on pleure parce qu’on s’est fait mal ou parce que quelqu’un est mort, pleurer devient aussi de la violence.

Tomber
Un fait intéressant à noter : si on se fait mal en tombant, mais qu’on ne saigne pas, ce n’est pas de la violence.

Chatouiller
Et la perspicacité des enfants en la matière est grande. On en veut pour preuve cette subtile interprétation au sujet de "chatouiller" : ce n'est pas de la violence parce que ça ne fait pas mal, mais chatouiller devient de la violence si la personne qui le subit ne veut pas être chatouillée.

Rendre "un coup"… concerne la LEGITIME DEFENSE
Parmi les enfants qui pensent devoir utiliser la violence pour rendre à quelqu’un ce qu’il leur a fait, certains rendent avec la même intensité ce qu’ils ont subi. S'ils reçoivent un coup de pied, il est "normal" qu'ils le rendent. Cependant, au cours de la discussion, les enfants précisent que ce n’est pas vraiment de la violence parce qu’ils ne font que rendre.

Si on lui donne un coup de pied, Pascal rend un coup de pied. Et selon lui, c’est celui qui commence qui est violent et pas lui (bien que l’acte soit le même). La même chose pour Marie qui commence par soutenir qu’elle n’utilise pas la violence pour rendre. Elle admet cependant que si quelqu’un lui donne un coup, elle le rend. Et pour elle, un coup de pied est de la violence. Elle rend avec la même violence et trouve ça légitime (souligné par nous).

Toute la partie Pour rendre montre que les enfants sentent qu'ils ont le droit de se défendre s'ils sont menacés, provoqués ou agressés physiquement. Sans avoir nécessairement les mots pour l'exprimer, ils "disent" pratiquer la légitime défense - cela, dans la plupart des cas, pour ne pas perdre la face, pour ne pas passer pour un lâche, parfois pour réparer ce qu'ils ressentent comme une injustice, etc.

Bullying
On peut dégager de ce qui précède que pour les enfants de 7/8 ans, l'échange de coups, l'affrontement physique et la bagarre ne sont pas nécessairement - donc ne sont pas toujours à leurs yeux - des actions violentes. Dans leur étude sur La violence dans les écoles du cycle d’orientation de Genève, Clémence et Al.(24) soulignent également une différence bien réelle de perception entre les élèves et les enseignants : les bagarres de récréation ne sont un problème de violence que pour les adultes !

De la même manière, il faut être très précis dans l'utilisation du terme " bullying : F 2 " qui a fait le tour du monde grâce aux analyses et aux programmes de prévention produits par le spécialiste norvégien Dan Olweus (1999). Dans la préface qu'il a rédigée pour Violences entre élèves…, Jacques Pain note que traduire " bullying " en français n’a rien d'une sinécure:

    Après quatre à cinq ans de discussion, nous restons pris entre l’intimidation, le harcèlement, les brutalités, les agressions, les violences, dans le mécanisme complexe des victimisations. Nous avons écarté brimade, trop pointu. Mais à vrai dire un mot n'y suffit pas. Ou alors il faudrait trancher, et centrer sur " les victimisations à l’école ", ou " le harcèlement à l’école ", termes qui d’ailleurs se frayent un chemin dans nos mentalités, à voir les plus récentes publications. Dan Olweus penchait pour le harcèlement physique, verbal, et psychologique. Car n’oublions pas que le bullying implique une relation agresseur(s)-victime(s), avec injustice, ou inégalité, et dans une répétition d’actions négatives à long terme, p. 15.

La fin de cet extrait nous indique bien qu'il ne s'agit pas de bullying lorsque deux enfants de force égale, s'affrontent physiquement, se disputent ou se "bagarrent dans le préau". Le " bullying " suppose en effet la répétition d'un acte agressif et la répétition de la même domination : le bourreau (toujours dominant) agresse sa victime (toujours dominée). Et le fait même qu'il y ait victimisation à long terme appelle bien entendu l'intervention de tiers qui, d'une part, prendront la (légitime) défense du jeune souffre-douleurs et, d'autre part, "s'occuperont" du bourreau et le prendront en charge.

La civilité : forme minimale de la réciprocité humaine

Dans un article publié récemment, Yveline Fumat (2000) défend cette thèse que la civilité est une "forme élémentaire, minimale" de la réciprocité entre les êtres humains; ainsi, elle serait la base (la fondation) qui peut soutenir d'autres types de relations :

    Dans toutes les rencontres qui ont lieu dans les lieux publics, semi-publics, avec des inconnus ou même des " connaissances ", nous avons une certaine façon de prendre l’autre en considération. Grâce à cette compétence civile – que l’on peut appeler Civilité – nous tissons en quelque sorte du lien social.

    Nous sommes capables de prendre part chaque jour, dans nos multiples activités, par notre connaissance fine de règles syntaxiques variées, à une vie sociale très bien réglée, car nous avons tous un " art extraordinaire de ne pas trop heurter, choquer, déranger ".

    N’y a-t-il vraiment que des réussites ? Non bien sûr, et les analyses de la microsociologie permettent précisément de déceler les diverses origines des difficultés :

    - certaines viennent de malentendus culturels, quand des individus ne connaissent pas le " code cérémoniel " en vigueur du fait de leur appartenance à des groupes ou des ethnies différents ;

    - même dans un groupe homogène, des malentendus peuvent survenir que tout un vocabulaire courant caractérise : la " gaffe ", l’ " impair ", l’ " embarras ", " perdre la face " ; il s’agit souvent de ratés non-intentionnels… ;

    - mais l’intentionnalité, la provocation, existent également : certaines transgressions sont volontaires.

    Il faut penser la civilité comme une " forme élémentaire " qui certes ne peut être confondue avec les liens plus élaborés aux niveaux juridique, politique, moral. Toutefois elle les rend possibles, permet ensuite de les construire. La civilité est peut-être formelle et pauvre, mais c’est la forme minimale de la réciprocité qui pourra " soutenir " et " contenir " d’autres relations intersubjectives.
    La gradation permet de comprendre le rôle de la civilité, qui n’est pas le civisme mais qui peut y conduire. La différence est surtout de conscience et d’intentionnalité ; la civilité, ce degré élémentaire, ne vise nullement l’intérêt général : les individus se croisent, s’évitent, contrôlent leurs rencontres par des formes de politesse maîtrisées, se présentent et s’abordent selon des règles prescrites… Rien dans leur discours et dans leurs actes ne laissent à penser qu’ils visent un quelconque intérêt général, et pourtant ils jettent ainsi les bases de l’ordre de la cité. Même s'ils ne le veulent pas, s’ils ne le cherchent pas, ils construisent un monde ordonné où l’on peut vivre ensemble. Ce réseau de relations intersubjectives ritualisées, pose les " formes ordinaires du droit ", il permet de réguler les rapports entre les individus avant toute loi, avant même tous les règlements codifiés et explicites des institutions. Ainsi les rites d’interaction, même s’ils ne visent pas l’intérêt général ont bien une dimension politique. La civilité " engage quelque chose d’essentiel dans les rapports humains puisqu’elle a trait à leur cohésion et au maintien durable de leur coopération ".

    L'enfant pour devenir l’élève doit déjà avoir des inhibitions motrices suffisantes. Il faut que dans son milieu familial ou à la crèche il ait déjà appris à ne pas abîmer, ne pas déchirer, ne pas jeter par terre des objets appartenant aux adultes. Qu’il ait appris aussi à ne pas agresser, ne pas frapper, ne pas mordre les autres enfants. Il faut que la socialisation primaire, en famille ou à la crèche, lui ait donné le minimum de civilité qui rende possible une " vie avec les autres ". L’enfant destructeur, agressif, celui qui ne sait régler les conflits que par les cris et les coups, sera vite considéré comme " difficile " et le problème de sa normalité ne manquera pas d’être posé si ses conduites sont vraiment trop loin de ce que l’ordre scolaire peut accepter (souligné par nous).

Le Forum Société et violence : vivre ensemble dans le respect de chacun (cf. supra) n’avait pas l’ambition de formuler des " propositions miracles ". Il a néanmoins débouché sur deux prises de conscience intéressantes:

    - la violence est omniprésente et elle a toujours une double face : elle nous fascine parce qu'elle nous fait peur ! La dimension émotionnelle (peur, insécurité, inquiétude, angoisse) est donc rarement absente de notre rapport aux faits de violence et l'émotion peut être paralysante ou mauvaise conseillère,

    - pour éviter le désarroi ou la paralysie de l'individu confronté à une situation de violence, on peut adhérer aux propos du thérapeute social Charles Rojzman, (l’un des conférenciers invités) qui préconise de créer " une intelligence collective, pour sortir de l’impuissance ".

Bien qu'omniprésente, la violence n'est toutefois pas une fatalité, on a noté qu'elle est une construction sociale. Il faut donc la canaliser, la domestiquer, la gérer, car il est illusoire de penser qu'on pourrait l'éradiquer.

Si on admet le bien-fondé de la thèse d'Elias - selon laquelle le processus de civilisation des moeurs sous-tend chez l’individu l’apparition d’un contrôle de plus en plus sévère des pulsions, et entraîne également un abaissement du seuil de tolérance face à des comportements violents - alors, il faut bien admettre en sens inverse que la brutalisation des mœurs est toujours possible et que le contrôle des pulsions n'a rien de "naturel", il est au contraire le résultat (toujours fragile) d'un long travail de socialisation et de connaissance de soi.

Les incivilités renvoient à des faits peu graves [dans le cas contraire, il s'agit de délits et de crimes qui doivent être poursuivis comme tels], mais qui remettent en cause l’idée qu'une vie collective est possible, fondée sur l’échange, la confiance, la communication, le respect mutuel. Et à une époque marquée par la crise des institutions, cela peut provoquer des effets dévastateurs.

Les conduites à risques se multiplient dans la jeunesse et prennent une grande diversité de formes (tentatives de suicide, toxicomanies, défis à l’autorité, pratiques extrêmes dans le domaine sportif, etc.). Elles sont une tentative de s’affirmer, de donner une signification à une existence personnelle mise en défaut par la société. Si ce mal de vivre est largement ressenti au sein de la jeunesse, il prend une forme forcément plus aiguë chez les jeunes qui vivent dans un contexte où se cristallisent les facteurs d’exclusion, ces quartiers d’exil et ces cités sensibles (zones urbaines prioritaires : zup, zep) où s’enracinent les emplois précaires, les inégalités sociales criantes, la galère, l'exclusion, la délinquance, etc.

Droits de l'homme, démocratie et pratiques citoyennes

Comme en témoignent les analyses précédentes, l'expression vivre ensemble dans une pluralité de mondes renvoie à des situations complexes et elle a été abordée sous différents angles : construction de l'accord, gestion de la violence ordinaire, etc. Avant de traiter de manière spécifique l'éducation aux droits de l'homme, à la paix, à la citoyenneté démocratique et à la non-violence (cf. infra), on souhaite revenir brièvement à quelques enjeux liés à la trilogie droits de l'homme, démocratie et pratiques citoyennes. Par rapport à ces "sujets sensibles" en temps de crise - parce qu'ils sont taraudés par des "forces" destructives (destructurantes) -, il ne faut pas oublier que les mutations en cours [individualisation, désinstitutionnalisation, renforcement de la compétition, érosion de l'autorité éducative] n'entraînent pas que des conséquences négatives, elles poussent les analystes et les acteurs à penser autrement et à construire positivement certains rapports nouveaux entre les générations et entre les individus et la société (restructuration). A n'enregistrer que "les pertes" liées au passage de la société industrielle à la société d'individus ne risquerait-on pas en effet de sombrer dans la nostalgie et de n'adopter qu'une vue passéiste des changements en cours ? et, ce qui serait sans doute plus grave, de ne plus comprendre la position des jeunes générations qui s'inscrivent directement et "sans rétroviseur" dans les processus d'individualisation et de désinstitutionnalisation ?

A cet égard, l'affirmation " au lieu de dire la règle, les institutions fixent désormais les cadres de la négociation " (Sciences humaines, juin 2001), nous incite à réfléchir au couple "droits humains et cadres de la négociation". Pour F. Dubet (2001), ce qui fait lien entre les droits de l'homme et l'école, c'est que l'école est républicaine :

    …longtemps, l'autorité du maître d'école a été naturelle parce qu'elle reposait sur un certains charisme lié à la fonction. Cette autorité venait de ce que le maître portait la vocation de l'école républicaine dont on sait qu'elle avait pour objectif de construire un type de légitimité politique, un type de citoyenneté, un type d'identité nationale (c'est nous qui soulignons).

    La question de l'autorité à l'école est aujourd'hui la même que partout ailleurs, c'est-à-dire celle de la justice et de la démocratie. Les règles concernant l'absence, le respect, etc. doivent s'appliquer à tous, adultes comme élèves.

Dans leur rapport remis au ministre de l'éducation nationale en 1989, deux philosophes (Bouveresse et Derrida) ont également montré qu'il existait dans le passé un lien étroit entre la philosophie et la citoyenneté républicaine. Dans le projet politique d'origine, l'enseignement de la philosophie rejoint l'idéal civique en ce sens qu'il intègre deux universels, celui de la citoyenneté et celui de la raison. L'engagement citoyen et l'engagement philosophique constituant un seul et même mouvement, car l'enseignement de la philosophie est perçu comme un "couronnement" : la culture scolaire ouvrant ainsi sur la formation citoyenne. Or, aujourd'hui, il existe incontestablement un décalage, pour ne pas dire un fossé profond, entre cet idéal de couronnement philosophico-citoyen et l'expérience scolaire de certains lycéens. Il s'agit d'élèves faibles issus du monde des employés, des petits commerçants et de la classe ouvrière, en d'autres termes on les nomme les "nouveaux lycéens", ceux qui fréquentent les lycées de banlieue. Ils entretiennent un rapport problématique en particulier à l'enseignement de la philosophie, car la dissertation de philo exige d'eux le développement d'un esprit critique que ne leur transmet pas l'école comme tel. Autrement dit, ils se trouvent dans cette situation paradoxale d'être mal notés s'ils sont "trop scolaires" alors qu'ils n'ont pas d'autre source d'information et de formation que la scolaire en matière de philosophie. Et on relève de manière officielle que, bon an mal an, plus de 70% des candidats au bac obtiennent une note inférieure à la moyenne à la dissertation de philosophie - et tant pis pour le couronnement et la couronne !

J.-P. Obin (2001) estime que la compétence professionnelle et la justice sont deux des fondements de toute autorité aujourd'hui. Elles doivent être accompagnées d'un principe d'ordre politique qui s'exprime à l'école dans les mêmes termes que dans toute la société :

    Inventer un bon usage scolaire de la démocratie sociale, une forme de démocratie qui ne soit ni une pâle imitation de la démocratie représentative en politique, ni la négociation sans fin de toute décision qui caractérise souvent la "démocratie familiale".

Le politologue P. Manent (2001) va encore plus loin, il estime que l'érosion des autorités ne signifie pas le chaos. Selon lui, cela peut aussi vouloir dire que la démocratie étend son emprise sur des territoires où elle n'entrait pas auparavant. Et ce qui ferait autorité, c'est la référence aux droits de l'homme !

Et Touraine (1998) estime que la démocratie ne peut plus se réduire à un ensemble de garanties contre un pouvoir autoritaire. Après la conquête des droits civiques et la défense de la justice sociale, la démocratie doit être l’instrument de reconnaissance de l’autre et de la communication culturelle. En cela, je rejoins l’Américain Charles Taylor qui parle de " politique de la reconnaissance " (politics of recognition).

Pratiques citoyennes dans l'école genevoise

L'ouvrage Pratiques citoyennes (1999) est destiné aux élèves et aux enseignants du cycle d'orientation de l'enseignement secondaire obligatoire de Genève. Il s'agit d'un document-ressource pour aider les adolescents dans leurs activités relatives à l'éducation citoyenne. Le titre retenu par les auteurs est significatif de leur volonté de mettre la notion abstraite de citoyenneté à la portée des jeunes pour qu'ils la pratiquent autrement :

    Dans ce livre, nous considérons la citoyenneté dans son sens le plus large, et non pas seulement au niveau de l'exercice des droits politiques (le vote et l'éligibilité) qui sont réservés à ceux qui les détiennent en fonction de leur nationalité : connaître la loi te permet de mieux faire valoir tes droits d'élève, droit à la liberté de réunion et d'information, droit d'exprimer ton opinion et de voir cette opinion prise en considération, créer des espaces de dialogue et d'action dans l'école.

La citoyenneté est donc vue ici comme un éventail de pratiques sociales très diverses. Elle peut comprendre de multiples engagements associatifs : projets politiques, culturels, sportifs, de loisirs, de solidarité, de vie alternative, etc. A la lecture de ces Pratiques citoyennes, on se rend aisément compte qu'elles supposent et produisent du lien social et de la cohésion sociale - même si le texte ne fait pas explicitement référence à ces deux concepts.

Le lien social

De diverses définitions anthropologiques, sociologiques et économiques du lien social (échange, obligation, transaction), on peut retenir trois dimensions essentielles :

  • l'intérêt : l'échange marchand permet de se procurer les biens et les services qu'on ne peut produire soi-même; mais il existe d'autres formes d'intérêt qui, sur des bases non économiques, créent du lien social;
  • la confiance : l'échange exprime l'existence d'une relation de confiance ou de fidélité entre les partenaires concernés;
  • la réciprocité : l'échange naît de l'obligation de rendre d'une façon ou d'une autre ce que l'on a reçu d'autrui.

Il n'est pas besoin d'être économiste pour se rendre compte qu'une grande partie des ressources d'une commune sont liées à l'implantation et au développement sur son territoire d'entreprises industrielles et commerciales. Cependant, cette partie du capital communal, concerne avant tout le monde adulte et la population dite active ou encore le chef de famille - même si les marchés (de vêtements, de jeux, etc.) destinés aux enfants et aux jeunes sont florissants.

Ainsi, il n'est pas question de négliger l'échange économique (intérêt) comme base de création de certains liens sociaux, mais il est au moins aussi important de prendre en compte le lien social (confiance, réciprocité) comme condition du développement de l'échange marchand.

Cela précisé, les "ressources cachées" que produisent l'échange-don (obligation, réciprocité : don de soi, bénévolat, entraide, dépannage, soutien, etc.) et l'échange interpersonnel ou personnalisé (confiance, fidélité : relations entre parents et enfants, entre élèves et enseignants, entre marchand et client, entre professionnel et usager, etc.) ne doivent pas être négligées. Ne constituent-elles pas une part importante du lien social et du "ciment" à la base d'un grand nombre de transactions sociales ?

La définition que nous conférons ici au concept de lien social est avant tout anthropologique. Elle renvoie à l'ensemble des relations - dans la plupart des cas invisibles, dès lors qu'elles sont informelles - que les gens de Vernier tissent dans le cadre de leur vie locale et de leurs actions quotidiennes : voisinage, réseau, association ponctuelle, reliance émotionnelle, etc.

La cohésion sociale

La cohésion sociale fait aussi référence au "ciment" et au lien social, mais le registre dans lequel on l'utilise la plupart du temps est celui du politique, de la justice, de la démocratie, des droits de l'homme, de la citoyenneté et des pratiques citoyennes. Sa différence spécifique tient en ceci que la cohésion sociale n'est pas aléatoire, ni informelle, ni cachée, ni ponctuelle. Elle s'inscrit au contraire dans un cadre structuré, visible et plus ou moins durable. Par exemple, dans le programme d'une instance politique, dans le projet d'une association ou dans les buts des participants à un réseau - qui visent à créer de la cohésion sociale dans la commune ou dans un quartier.

Dès lors que le concept de cohésion sociale est apparenté aux idées de justice et de démocratie, il contient nécessairement une part d'idéalité ou d'utopie. On peut en juger par les contenus des déclarations, des pactes, des chartes et des conventions(25). Car ces textes s'inscrivent tous dans le domaine du déclaratif - ils manifestent une intention en rapport avec les droits fondamentaux de la personne : toute personne a droit à l'éducation…L'éducation doit viser au plein épanouissement de la personnalité humaine et au renforcement du respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales (art. 26 de la Déclaration universelle). Le caractère abstrait de tels articles laisse évidemment songeur quant à la possibilité qu'ils soient effectivement mis en œuvre et qu'ils trouvent une réalisation quantitativement et qualitativement satisfaisantes dans toutes les régions du monde.

Mais, le caractère parfaitement abstrait et normatif de ces déclarations a au moins un avantage, c'est celui de permettre de penser leur mise en application à tous les niveaux du "vivre humainement ensemble". En voici deux illustrations - la première (genevoise) allant du local au mondial et la seconde (européenne) empruntant le chemin inverse :

Nouvelle stratégie de cohésion sociale sur le plan européen

Le Conseil de l'Europe fait de la cohésion sociale une condition essentielle de la coopération internationale et de la sécurité démocratique sur tout le continent européen et par voie de conséquence dans le monde. Créé en 1998, un Comité européen pour la cohésion sociale travaille à dégager les perspectives d'une nouvelle stratégie de cohésion sociale . Il n'est pas question de présenter ici l'ensemble des facteurs qui, selon le comité, nuisent à la cohésion sociale(26); ces facteurs rendent compte de diverses mutations et restructurations d'ordre démographique, socioéconomique et politique (27).

Il est important de noter que l'existence du Comité européen pour la cohésion sociale est déjà en soi une preuve que le Conseil de l'Europe passe de l'idéal (déclaration d'intention (28)) à l'effectif (mise en œuvre de programmes et de projets) :

L'organisation a mis en place des normes européennes dans le domaine des droits sociaux et a accumulé sur ce terrain une vaste et précieuse expérience, tant à travers les mécanismes de supervision de ses instruments juridiques que sous la forme de Recommandations et Rapports.

    Il est de plus en plus admis que les pouvoirs publics doivent chercher à assurer la bonne marche non seulement de l'économie, mais aussi de la société (…) Le renforcement de la cohésion sociale peut être perçu comme une stratégie préventive destinée à parer au risque qu'apparaissent plus tard des fractures sociales et politiques.

    Au sens littéral, la cohésion sociale est ce qui fait le ciment d'une société. Toute société est la résultante de l'action réciproque entre des forces centripètes et des forces centrifuges, entre ce qui rassemble et ce qui divise, entre les moteurs d'unité et les moteurs de division, entre les intérêts de l'individu et ceux de la collectivité. Toutes les sociétés doivent tenter de parvenir à un compromis raisonnable entre ces forces.

Parmi les mesures à prendre pour promouvoir la cohésion sociale, le comité propose de lutter contre la discrimination, les inégalités, le chômage, l'exclusion, la pauvreté, etc., mais il insiste aussi sur la nécessité de construire du lien social :

    Une stratégie de cohésion sociale (…) ne doit pas se borner à traiter les symptômes; elle doit aussi, ce qui est plus constructif, soutenir toutes les forces qui contribuent à façonner une solidarité sociale et à nourrir un sentiment d'appartenance (souligné par nous).

En tenant compte des deux illustrations précédentes, on définira ainsi la cohésion sociale: il concerne la citoyenneté dans son sens large et les pratiques citoyennes, il suppose un projet d'association et d'action commun basé sur le respect d'autrui et la solidarité; le projet comprend un aspect déclaratif (idéal) et une stratégie effective (mise en œuvre, évaluation).
Et l'élément le plus important est peut-être celui-ci : la promotion de la cohésion sociale ne se réduit pas à lutter contre l'exclusion sociale, elle consiste également à travailler en amont sur le lien communautaire, car la cohésion sociale concerne la collectivité dans son ensemble et chacun de ses membres, et non pas seulement les individus qui s'y trouvent marginalisés(29) .


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