La culture de la paix :
défi de l'école moderne pour mieux vivre ensemble

Par Irène Drolet *


Texte de la conférence d'ouverture prononcée lors du 53e Congrès de l'Association canadienne d'éducation de langue française Tiré du site de l'ACELF


    La paix, nous la voulons...  parce qu'il y a une autre guerre à mener contre la pauvreté, la maladie et l'ignorance. Nous avons promis à notre peuple du travail, de la nourriture, de quoi se vêtir et s'abriter, la santé et l'éducation. Nous devons tenir ces promesses.
    Indira Gandhi, 1966

Avant d'aborder le sujet que l'on m'a demandé de présenter, je tiens d'abord à remercier le comité organisateur qui m'a invitée à venir vous rencontrer à l'occasion de ce 53e congrès de l'ACELF. Étant enseignante dans une école élémentaire, en 5e année, vous comprendrez que je n'ai pas tout à fait l'habitude de faire face à un auditoire regroupant autant de collègues en même temps. J'ai reçu cette invitation comme un honneur et une occasion de partager avec vous mon expérience d'une trentaine d'années. Je vous propose donc une réflexion sous divers angles tout en me référant, sans prétention, à mon expérience pratique en classe.

Comme vous le savez sans doute, l'Assemblée générale des Nations Unies a décidé de confier un magnifique mandat à l'UNESCO pour souligner l'arrivée de l'an 2000 soit promouvoir la culture de la paix en faisant de cette année symbolique l'année de la paix. L'UNESCO a été chargée de faire la promotion de ce qu'elle appelle le Manifeste 2000, un document signé par un groupe important d'anciens prix Nobel de la paix. La promotion de la culture de la paix n'arrive pas par hasard. Si nous faisons un diagnostic global et rapide de la situation dans le monde, nous réalisons vite que nous vivons sur une poudrière, tant au plan collectif qu'au plan individuel. Partout, on constate un écart grandissant, scandaleux et « dénonçable » entre riches et pauvres. Les disparités de revenus et de richesses sont énormes. Dans les pays en développement, la pauvreté se transforme en misère et multiplie les sans-abris, les sans-emploi, les sans-éducation, les sans-nourriture et fait naître la peur, la révolte et l'insécurité, ce qui débouche souvent sur des conflits violents. C'est essentiellement ce que l'UNICEF dénonce, et je cite :

Le fait que près d'un milliard de personnes - un sixième de l'humanité - soient « fonctionnellement analphabètes » représente une menace pour la paix et la prospérité mondiales. Pour que tous les enfants aient accès à l'éducation, il faudrait seulement 7 milliards de dollars de plus par an - mois que ce que les Etats-Unis dépensent chaque année en produits cosmétiques ou l'Europe en crèmes glacées.
UNICEF La situation des enfants dans le monde, 1999, cité dans Truchot, 2000 : 38.

Dans les pays industrialisés, les transformations sociales et économiques de même qu'un taux de chômage élevé engendrent souvent une perte de confiance et d'intérêt envers les institutions. Tout ceci contribue à générer des problèmes sociaux tels la criminalité, l'exclusion sociale ou la marginalisation, le décrochage, le suicide, et la violence chez trop de jeunes. Cette violence sous diverses formes (racisme, intolérance, xénophobie, nationalismes étroits, intégrismes religieux, gangs criminalisés, etc.) s'accroît et envahit la vie quotidienne. La situation mondiale actuelle traduit une crise profonde au niveau de la vie démocratique, de l'économie, de l'organisation sociale et des valeurs morales. Ce sont là des menaces autres que militaires qui pèsent sur la paix : les systèmes politiques et économiques qui exploitent les humains et engendrent la souffrance, les injustices, les inégalités, les iniquités multiplient les violations des droits humains fondamentaux, constituent une menace à une paix durable et tissent la trame de fond sur laquelle s'inscrit la violence collective et individuelle sous toutes ses formes.

Cette violence est, dans bien des cas, un moyen de communication entre des individus et la société, lorsqu'ils n'ont pas la possibilité de prendre la parole et d'être entendus et reconnus, nous précise le Mouvement pour une alternative non violente (cité dans Truchot, 2000 : 38)

La culture de la paix nous interpelle d'abord au niveau de notre responsabilité comme promoteur de relations harmonieuses entre les humains et, nous, enseignants et enseignantes, ainsi que dirigeants des institutions scolaires au même titre que les parents, nous avons, et c'est un euphémisme de le répéter, la lourde responsabilité de nous engager à éduquer et à former les citoyens et les citoyennes de demain.

Nous entendons seriner sur tous les tons que la violence est partout et les enfants y sont exposés chaque jour. Comme le dit Serge Mongeau et je cite :

La violence se répand de plus en plus car elle est présentée comme un moyen facile et rapide de régler les problèmes ; même si on ne l'accepte pas, on s'habitue à sa présence, on la croit inévitable et on s'insensibilise à ce qui devrait être intolérable
Mongeau 1998 : 35.

Devant un tel phénomène, que faire ? Par exemple, la Centrale de l'enseignement du Québec (CEQ), maintenant appelée Centrale des Syndicats du Québec, fait campagne depuis longtemps pour en arriver à construire une société sans violence et un dossier que la CEQ a mis de l'avant en 1992 rappelle aussi ce diagnostic dramatique.

Il y a de la violence à l'école parce qu'il y en a partout. À la télévision, dans les journaux, les jeux électroniques, les clips, INTERNET, etc., on banalise la violence. Selon une étude réalisée par le Conseil supérieur de l'éducation du Québec, c'est le milieu familial qui vient en tête de liste des endroits où se manifeste d'abord la violence pour un jeune. Et l'école vient bien après la rue, le sport, etc.  Le milieu familial est en changement, en réorganisation, les gens s'appauvrissent de plus en plus et les valeurs élitistes écartent celles de la solidarité et de la responsabilisation. Dans un tel contexte, on comprend qu'il y ait de l'agressivité dans l'air. Il est donc souhaitable que les adultes reprennent confiance dans la légitimité de leur action éducative et dans la valeur d'une action commune.
CEQ, 1992 : 4.

Je termine ce trop bref diagnostic en soulignant le fait que nous vivons dans un monde hautement compétitif où règne la loi du plus fort. La course à l'accumulation de capitaux imposée par une minorité fait partie de cette compétition effrénée et parfois violente qui se fait trop souvent sur le dos des plus démunis. De plus en plus d'indices montrent que le fossé s'élargit entre les riches et les pauvres. Créer la pauvreté, c'est créer la violence !

La pauvreté, l'ignorance, l'exclusion et la non-reconnaissance des droits fondamentaux dont les droits linguistiques et religieux font certes partie des principaux facteurs de violence mais attention, cela ne signifie pas que la violence est le propre des pauvres. Dire que la pauvreté est le principal facteur de violence risque de nous faire glisser vers une analyse simpliste qui nous conduirait à conclure que la violence n'est que le fait d'une attitude que l'on rencontre d'une façon intrinsèque que chez les plus démunis. Les facteurs qui génèrent la pauvreté sont complexes et dépassent de beaucoup les attitudes. Les plus démunis s'avèrent la plupart du temps davantage victimes d'un système que les générateurs de la pauvreté et de la violence. Prenons un exemple historique !  L'abus des pays occidentaux, riches et sur-consommateurs, à l'égard de différentes régions de la planète a généré une violence inouïe dans le monde. Songeons aux grandes conquêtes du XV1e siècle qui ont entraîné le génocide de millions d'autochtones dans les Amériques. Pensons également à la domination politique, économique et culturelle des peuples d'Afrique et d'Amérique latine durant des siècles par un colonialisme entièrement orienté vers la satisfaction insatiable de consommation et d'hégémonie des pays occidentaux. Cette domination n'est pas terminée.

En juillet dernier, au Sommet des pays du G-8 à Okinawa au Japon, au lieu de vraiment trouver des solutions fondamentales à la pauvreté, les leaders politiques des huit pays les plus industrialisés de la planète ont inventé l'utopie de brancher tous les pays du monde sur INTERNET alors que des millions de gens meurent encore de faim. Ce n'est pas très rassurant de constater que ces leaders politiques et économiques manquent de réalisme sur les priorités des pays sous-développés. La priorité des priorités fut sans doute formulée tout simplement par un chanteur-poète qui intervenait au Festival Nuits d'Afrique, à Montréal, il y a 2 semaines à peine. Il disait :

Je réclame la « mangécratiei » pour tous

C'est-à-dire le droit de manger...

Devant une telle ampleur de la violence incrustée dans les esprits depuis des siècles comme un phénomène naturel, il y a bien sûr une sorte de sentiment d'impuissance qui nous habite. Mais au-delà, l'utopie est permise. L'espoir d'un monde meilleur nous anime. Nous, professionnels, professionnelles de l'éducation, c'est dans notre école et dans notre classe que nous faisons face à toutes ces grandes réalités. Les élèves qui nous sont confiés vivent dans un monde qui n'est pas nécessairement simple à comprendre et qui n'est pas très tendre à leur égard car il exige une bonne dose d'esprit compétitif et ne valorise souvent que les forts. Dans nos écoles, trop de jeunes vivent des difficultés d'apprentissage, des échecs, des problèmes d'identification, de motivation, de valorisation, de rejet, d'exclusion, de frustration, bref une souffrance qui peut parfois se traduire par la violence envers soi ou les autres. Dès l'école élémentaire, on commence à leur parler de performance et de compétition. Je pourrais vous donner des dizaines d'exemples de violence à l'école mais je suis certaine que vous pouvez en identifier autant dans votre propre milieu scolaire. En ce sens, les forums du congrès qui posent la question à savoir si les jeunes sont victimes ou acteurs de la violence ou encore s'ils doivent être préparés à la solidarité ou à la concurrence s'inscrit très bien dans cette réflexion.

Ce portrait global nous interpelle certes mais surtout, il commande des actions concrètes. La question que l'on se pose souvent est la suivante :

  • Que signifie développer une culture de la paix tout en enseignant les matières scolaires ?
  • Que signifie assurer la gestion d'une école dans une perspective solidaire ?
  • Que signifie développer des comportements non violents chez les élèves ?

Bien sûr, nous ne partons pas de zéro car nombreuses sont les personnes parmi nous qui se soucient depuis longtemps de la violence à l'école. Mais beaucoup de monde ont réfléchi à la question bien avant nous. Pensons à l'UNESCO, à l'École instrument de paix et à tous ces organismes sans buts lucratifs qui luttent pour le respect et la dignité des pauvres et à tous les milliers de personnes qui, comme ces victimes des dictatures, meurent pour leurs convictions démocratiques tels Martin Luther King, Nelson Mandela, Mgr Romero et combien d'autres ! Mais avant de répondre à ces questions, j'aimerais rappeler le sens de la culture de la paix tel que l'entend l'UNESCO. Excusez-moi de faire appel à une longue citation mais je crois que les perspectives de l'UNESCO méritent qu'on s'y arrête parce qu'elles m'interpellent profondément et elles constituent des repères fondamentaux intéressants et très pertinents par rapport au thème de ce congrès. Je cite donc :

  • Respecter toutes les vies.
    Respecter la vie et la dignité de chaque être humain sans discrimination ni préjugé.
  • Rejeter la violence.
    Pratiquer la non-violence active, en rejetant la violence sous toutes ses formes : physique, sexuelle, psychologique, économique et sociale, en particulier envers les plus démunis et les plus vulnérables tels les enfants et les adolescents. L'éducation à la paix vise donc à libérer la paix intérieure dans l'esprit des élèves afin qu'ils puissent développer leur tolérance, leur sens de la compassion et du partage et de l'attention aux autres.
  • Libérer ma générosité.
    Partager mon temps et mes ressources matérielles en cultivant la générosité, afin de mettre fin à l'exclusion et aux disparités économiques.
  • Écouter pour se comprendre.
    Défendre la liberté d'expression et la diversité culturelle en privilégiant toujours l'écoute et le dialogue sans céder au fanatisme, aux préjugés et au rejet d'autrui.
  • Préparer la planète à un avenir plus juste.
    Promouvoir une consommation responsable et un mode de développement durable qui tiennent compte de l'importance de toutes les formes de vie et préservent l'équilibre des ressources naturelles de la planète. Il s'agit de travailler à construire l'harmonie entre l'homme et la nature, l'harmonie aussi entre les valeurs individuelles et collectives dans une perspective de promotion du bien commun dans le respect du patrimoine de l'humanité et de l'environnement pour le mieux-être de tous et toutes et non d'une minorité. Un développement équitable est possible à la condition qu'il soit orienté vers le bien commun et la satisfaction des besoins de toute l'humanité, non vers l'accumulation des capitaux par une minorité d'actionnaires de grandes sociétés transnationales.
  • Réinventer la solidarité.
    Contribuer au développement de ma communauté avec la pleine participation des femmes et des hommes et dans le respect des principes démocratiques, afin de créer, ensemble de nouvelles formes de solidarité.
  • Développer des pratiques démocratiques.
    Favoriser l'acquisition du sens des valeurs universelles qui visent à renforcer un comportement responsable et respectueux. Ceci implique de préparer les citoyens à gérer les situations difficiles et incertaines et contribuer à l'instauration d'une société équitable, pacifique et démocratique. Ça veut aussi dire que l'éducation doit favoriser la recherche de solutions pacifiques aux conflits.

UNESCO, 1995, 8.

La stratégie qui intègre toutes ces dimensions et fournit une clé fondamentale pour créer des alternatives à la violence structurelle comme les guerres, l'exploitation et l'exclusion sous toutes leurs formes et à la violence interpersonnelle, c'est l'éducation à la paix. Étant donné toute l'importance que j'accorde à l'éducation à la paix, permettez-moi ici de rappeler littéralement la position de l'UNESCO sur la question :

L'Éducation, estime l'UNESCO, doit développer la capacité de reconnaître et d'accepter les valeurs qui existent dans la diversité des individus, des sexes, des peuples, des cultures et de développer la capacité de communiquer, de partager et de coopérer avec «l'autre». Les citoyens d'une société pluraliste et d'un monde multiculturel devraient être en mesure d'admettre que leur interprétation des situations et des problèmes découle de leur vie personnelle, de l'histoire de leur société et de leurs traditions culturelles et que par conséquent aucun individu ou groupe ne détient la réponse unique aux problèmes et que pour chaque problème il peut exister plus d'une solution. (...) Ainsi, l'éducation devrait renforcer l'identité personnelle et favoriser la convergence d'idées et de solutions qui renforcent la paix, l'amitié, la fraternité entre les individus et les peuples.
UNESCO, 1995 : 8.

Il me semble qu'un tel texte peut rejoindre des millions d'êtres humains sur la planète car il fait appel à des valeurs humaines fondamentales, à une attitude et à un comportement responsables comme citoyen et citoyenne. Dans sa recherche de solutions, l'UNESCO se tourne vers tous les citoyens et toutes les citoyennes du monde entier. En fait, le Manifeste 2000 demande à chacun et chacune de prendre ses responsabilités afin de promouvoir la paix et de commencer à bâtir la paix dans sa vie quotidienne. C'est déjà un acquis significatif porteur d'espoir qui peut avoir des répercussions au plan politique ; en effet, des citoyennes et des citoyens conscients, critiques et responsables peuvent utiliser leur voix pour exiger que leur gouvernement contribue à la paix et non à la guerre. Développer la culture de la paix chez les adultes et les enfants, c'est aussi agir politiquement à court, moyen et long terme. On demande à chaque être humain de traduire dans la réalité les valeurs, les attitudes et les comportements inspirés par la culture de la paix et la démocratie. Chacun et chacune peut agir dans sa famille, dans sa communauté, dans son milieu de travail et, si possible, à un niveau plus large comme le plan régional, national et international. La non-violence, la tolérance, le dialogue, la réconciliation, la justice, la coopération et la solidarité au quotidien sont des leitmotivs à mettre de l'avant. Comme vous pouvez le constater, éduquer à la paix, c'est toute une responsabilité. Tout un défi!  Depuis de nombreuses années, je me passionne pour développer une telle perspective dans mon école car je constate que mes collègues, les parents et les enfants s'impliquent et vibrent à de telles valeurs. Il suffit de créer les conditions pour qu'ils les vivent.

Éduquer à la paix, c'est contribuer à bâtir la paix. C'est investir pour la vie, l'harmonie, l'épanouissement de tous les humains dans la dignité, la justice et l'équité. Pour l'école moderne, l'objectif principal de l'éducation pour une culture de la paix nécessite l'élaboration d'une approche intégrale fondée sur des méthodes de participation prenant en compte tous les aspects de l'éducation. Cet objectif fondamental encourage la promotion de l'amélioration et l'innovation des programmes d'enseignement, du contenu et des méthodes d'enseignement, du matériel pédagogique, et de la formation des enseignantes et des enseignants et autres personnels de l'éducation.

Si développer la culture de la paix signifie d'abord respecter la vie et la dignité de chaque être humain dans tous ses droits, cela engage aussi l'individu à pratiquer la non-violence active, c'est-à-dire contribuer à dénoncer et à mettre fin au racisme, au sexisme, aux abus physiques, sexuels et psychologiques ou toute autre violation ou gestes discriminatoires qui bafouent les droits humains. Cela signifie aussi prendre l'engagement d'avoir nos dirigeants politiques et les entreprises à l'oeil afin qu'ils agissent dans le sens du désarmement, de la justice, de l'équité et du respect de tous les individus sans considération aucune de leurs caractéristiques sociales, économiques, culturelles, linguistiques et démographiques.

Comment éduquer à la paix à l'école ?

Enseigner, selon moi, est beaucoup plus qu'une fonction par laquelle une personne sert tout simplement de courroie de transmission technique d'un certain nombre de connaissances académiques comme la langue, les mathématiques, les sciences, etc.  Aujourd'hui plus que jamais, il faut passer du paradigme de l'enseignement au paradigme des apprentissages, soutient madame Fall de UNESCO-Canada (Fall, 1999 : 11). Je crois que l'individu qui accepte la responsabilité d'enseigner fait un choix éthique au sens où l'entend Meirieu, c'est-à-dire qu'il accepte le défi de contribuer à faire évoluer l'humanité dans le sens d'un mieux-être en croyant sincèrement à une « éducabilité » intégrale de l'être humain.

C'est dans cette perspective d'une éducation holistique visant le développement de la personne totale dans toutes ses dimensions (physique, cognitive, émotionnelle, relationnelle et spirituelle) que je contribue à l'éducation à la paix et à la citoyenneté dans une perspective mondiale en classe.

Je tiens à préciser qu'éduquer à la paix ne signifie pas qu'il faille ajouter une matière de plus à enseigner mais une approche ou une perspective globale qui permet de traiter différents aspects de l'éducation tels les droits, la démocratie, la diversité culturelle et linguistique, la compréhension internationale et interculturelle, la tolérance, l'environnement et le développement durable, etc.  Tout cela se vit en interdisciplinarité à travers les programmes officiels. Il s'agit pour nous de concrétiser l'éducation à la paix en mettant à profit diverses matières d'enseignement dans une approche interdisciplinaire favorisant le transfert des apprentissages et l'intégration des savoirs.

Méthodes, approches et démarches stratégiques

Voici maintenant quelques réflexions sur la démarche pédagogique qui correspond à une telle perspective !

L'éducation à une culture de la paix et de la non-violence invite à un renouvellement de nos pratiques. On doit passer à une pédagogie plus active et participative où l'on retrouve davantage de démocratie dans l'acte d'apprendre. Un jeune citoyen actif, autonome et responsable se construit par l'exercice, l'expérience pratique concrète et réelle de la démocratie participative en classe car les valeurs, les connaissances et les compétences, ce n'est pas inné, ça s'apprend. Ainsi, à travers différents thèmes et activités d'intégration, on invite les élèves à observer la réalité, à réfléchir, à prendre conscience, à analyser, à faire des liens entre ici et ailleurs, entre hier, aujourd'hui et demain, à apprivoiser les ressemblances et les différences. L'école doit aussi promouvoir une pédagogie qui permet le débat démocratique et qui encourage les élèves à se positionner, à délibérer, à assumer les conséquences de leurs choix et de leurs actes, à développer leur autonomie, à coopérer, à mieux connaître et comprendre les institutions, les lois, les normes, les mécanismes démocratiques, à connaître et défendre les droits, les responsabilités et les besoins de l'être humain et à se préoccuper du développement durable et de la santé de la planète, etc.

Dans un tel contexte, l'enseignant, l'enseignante, exerce son pouvoir pour faire émerger le potentiel qui habite chaque élève. Il l'incite à maximiser sa participation à la vie de la classe et l'aide à prendre graduellement du pouvoir sur lui-même. Il, elle doit favoriser une pédagogie de respect et d'appréciation de l'autre dans la coopération et la solidarité. En facilitant la relation à l'autre et en préparant l'ouverture sur le monde, la pédagogie de la coopération correspond, pour ne parler que de celle-ci, à l'idée même du «vivre ensemble» à travers la diversité culturelle et le pluralisme des idées. Le fait de travailler en équipe hétérogènes permet aux élèves de vivre en classe l'interdépendance positive, les interrelations et les interactions qui se vivent à l'échelle mondiale. Cela permet également de faire des liens entre le local et le global et de développer une conscience systémique, c'est-à-dire comprendre la nature systémique du monde qui l'entoure et mieux saisir les enjeux et les formes que revêt la vie en société.

Une classe et une école démocratique doit créer les conditions pour favoriser au quotidien le développement des valeurs d'égalité des chances, d'estime de soi, d'affirmation de soi, d'écoute active, de respect de la diversité, de justice, d'équité, de tolérance, d'entraide, de solidarité, de médiation, de coopération, de partage des idées, des stratégies et des responsabilités individuelles et collectives. C'est aussi le lieu et l'occasion de prise de parole, de participation, d'initiative et d'engagement. Évidemment, pour faire avancer la culture de la paix, il ne s'agit pas uniquement de se déclarer ouvert à une telle panoplie de valeurs, il faut les pratiquer soi-même et les faire pratiquer en classe, dans l'école et dans l'environnement de l'enfant. En d'autres termes, nous devons avoir une pratique pédagogique cohérente et éthique.

Une école démocratique efficace doit, à mon sens, plus que jamais, faire acquérir non seulement des connaissances mais aussi des valeurs, des savoir-faire (en termes de compétences et d'habiletés sociales) et des savoir-être (en termes de valeurs et de perceptions) visant la transformation des attitudes et des comportements pour mieux outiller les jeunes dans l'exercice d'une citoyenneté consciente, critique, active, solidaire, non violente et responsable pour un développement social plus démocratique, plus juste, plus écologique, plus équitable et plus durable où l'intolérable et l'inacceptable seront dénoncés au profit d'une éthique de vie et au nom de la dignité humaine. À mon avis, c'est cela éduquer à une culture de la paix.

Pour illustrer mon propos, je me réfère à l'expérience que nous avons développé au Centre d'éducation interculturelle et de compréhension internationale de Montréal (CEICI). Nous avons synthétisé les grandes lignes d'une approche pédagogique soucieuse de développer une culture de la paix et une citoyenneté responsable (CEICI, 1998 : 9). Ainsi, dans la vie de la classe, les élèves doivent avoir les conditions nécessaires pour :

  • être entendus, respectés, valorisés, encouragés;
  • participer aux décisions qui les concernent, établir les règles de vie, élire les représentants, représentantes au conseil étudiant, etc.;
  • partager les temps de parole;
  • préparer des actions cohérentes avec leurs valeurs (par exemple, respect des droits des autres, de l'environnement, de la diversité culturelle, etc.;
  • travailler en équipe de coopération pour apprendre ensemble;
  • développer un esprit critique;
  • s'exprimer librement dans le respect des uns et des autres;
  • gérer leurs conflits d'une façon pacifique, créatrice, constructive;
  • développer des habiletés de communication et de délibération, par exemple via le conseil de coopération, le conseil étudiant, la radio scolaire, le journal étudiant, etc.;
  • s'encourager et partager mutuellement dans leur processus d'apprentissage;
  • tenir compte de leurs besoins et de ceux des autres;
  • parler de leurs émotions, de leurs souffrances, de leurs frustrations et de leurs joies, en somme de leurs bons coups et de leurs difficultés;
  • examiner leurs opinions d'une façon critique et développer la capacité de changer d'avis si nécessaire;
  • se questionner sur l'impact de leurs décisions sur les autres et sur l'environnement;
  • développer leur curiosité pour découvrir le patrimoine culturel et naturel de l'humanité;
  • s'engager dans leur communauté et poser des gestes de solidarités locales, nationales et internationales, par exemple, en appuyant des organismes sans buts lucratifs qui militent pour le respect des droits humains et la justice sociale comme UNICEF, Développement et paix, Ligue des droits et libertés, Amnistie internationale, etc.

Une telle approche globale orientée vers la promotion des droits humains et de la paix implique aussi l'école comme institution. Dans une telle école, le mode de gestion doit :

  1. favoriser une vie démocratique au sein de la classe et de l'école;
  2. permettre une juste répartition du pouvoir qui responsabilise tous les partenaires de l'école;
  3. faire la promotion du respect des droits et libertés de chacune des personnes;
  4. faciliter, encourager et faire la promotion de la formation continue des membres de l'équipe-école;
  5. développer des approches dynamiques et participatives, conscientisantes et signifiantes pour les élèves et pour les enseignants, enseignantes;
  6. travailler en partenariat avec les parents et la communauté locale en les associant à leur projet éducatif démocratique et non violent.

En somme, je dirais comme le philosophe français, Olivier Reboul : l'école doit enseigner ce qui unit et ce qui libère. Ce qui unit, c'est le patrimoine de l'humanité, ce qui libère, c'est le savoir utilisable et le jugement.

Conclusion

Pour conclure, je peux affirmer que cette mission éducative peut, à première vue, paraître audacieuse et idéaliste mais combien essentielle, riche de sens et d'espoir car, comme le souligne le Préambule de l'Acte constitutif de l'UNESCO, les guerres naissent dans l'esprit des hommes, c'est dans l'esprit des hommes que doivent être élevées les défenses de la paix.

Je tiens à souligner aussi que, tout au long de ma pratique pédagogique, j'ai toujours eu le soutien des parents, de la direction de la l'école, de la commission scolaire, de mon syndicat et surtout l'entière collaboration et l'engagement des enfants.

Enfin, je vous invite à signer le Manifeste 2000 pour une culture de la paix et de la non-violence. La stratégie de sensibilisation de l'UNESCO est très simple, soit faire signer le plus grand nombre possible de citoyens et de citoyennes afin d'atteindre l'objectif de cent millions de signatures avant septembre 2000. Nous pouvons ajouter notre griffe à la liste par écrit ou via le site INTERNET de l'UNESCO sous la rubrique MANIFESTE 2000.

Références bibliographiques

Centrale de l'Enseignement du Québec (CEQ) (1992)
La violence à l'école : objectif zéro. Québec, Communications CEQ, document D9829.
Centre d'Éducation Interculturelle et de Compréhension Internationale (CEICI) (1998)
L'éducation à la citoyenneté dans une perspective mondiale. Montréal.
FALL, Ndèye (1999)
L'intégration scolaire des élèves immigrants et l'éducation à la citoyenneté ans une perspective mondiale. Conférence prononcée dans le cadre du forum du CEICI sur le thème de l'intégration scolaire des élèves immigrants et l'éducation à la citoyenneté ans une perspective mondiale. Montréal, Hotel Crowne Plaza, 29-30 avril 1999).
MAYOR, Federico (1999)
Un monde nouveau. Paris, Odile Jacob.
MONGEAU, Serge (1998)
La simplicité volontaire, plus que jamais... Montréal, Écosociété.
TRUCHOT, Véronique (2000)
À l'école de la paix. Dans École et paix, Bulletin de l'Association mondiale pour l'École instrument de paix, Mai 2000, pp. 37-38.
UNESCO (1995)
Déclaration et centre d'action intégré concernant l'éducation pour la paix, les droits de l'homme et la démocratie. Paris, UNESCO.





















Notice biographique


Pionnière de l'éducation à la citoyenneté, Irène Drolet a récemment été honorée en recevant une mention d'honneur du Prix UNESCO de l'éducation pour la paix des mains du directeur général, Koïchiro Matsuura. Rarement accordé à une personne plutôt qu'à une association, cet honneur consacre ses 28 ans de carrière auprès des élèves de 10 et 11 ans.

Irène Drolet détient un baccalauréat en pédagogie de l'Université Laval, un certificat en enseignement de la morale de l'Université du Québec à Montréal, un certificat en didactique des arts de l'Université de Sherbrooke et une maîtrise en didactique de l'Université de Montréal. Depuis 1987, elle est active au Centre d'éducation interculturelle et de coopération internationale du Québec.

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