Naissance d'un projet sur la guerre et la paix
Veronica Leuprecht, étudiante en éducation, UQAM
Tout a commencé par un livre: Secrets de guerre de Jean-Michel Lienhardt (1). Au coeur de cette histoire, deux garçons âgés de onze ans, Daniel et Franz, se lient d'une amitié très profonde, au moment où la seconde guerre mondiale fait rage en Europe. Daniel porte un lourd secret en lui: celui de ses origines juives. Franz va le découvrir, le révéler contre son gré et causer ainsi la perte de son meilleur ami...
J'ai présenté ce roman à une classe multiâge de quatrième, cinquième et sixième années, lors de mon stage en école alternative. Secrets de guerre a beaucoup touché, voire bouleversé les jeunes. Il a fait naître tout un questionnement en eux. Il a piqué leur curiosité et leur sensibilité. Les atrocités de cette guerre ont profondément indigné les enfants et les ont fait réagir... A l'unanimité, les élèves ont alors demandé à reparler de ce sujet qui leur tenait tant à coeur. C'est de cette manière qu'est peu à peu née l'idée de faire un projet sur la guerre et la paix....
Notre projet se déroulait sur cinq semaines environ. Durant la première semaine, nous avons fait des recherches pour trouver le plus de documentation possible. Tous les matins, nous organisions un rassemblement spécial d'une vingtaine de minutes où chacun présentait les documents, les livres, les objets, les films, les articles de journaux, les sources d'information qu'il avait trouvés.
Lors de la deuxième semaine, nous avons commencé le projet sous forme collective; ceci afin d'explorer ensemble différentes facettes de cette thématique et de donner la possiblité à chaque élève de découvrir un sujet qui l'intéresserait plus particulièrement. C'est pourquoi nous avons par exemple fait une chronologie géante des guerres répertoriées dans l'histoire humaine, avant et après Jésus-Christ. Cette chronologie fut conceptualisée et décorée par les élèves et ensuite accrochée dans les couloirs de l'école, de manière à ce chacun puisse en prendre connaissance. Celle-ci nous a notamment permis de comparer le nombre de guerres dans chaque siècle et d'arriver à la constatation bouleversante que le vingtième siècle avait de loin été le plus sanglant de toute l'histoire. Nous avons alors beaucoup réfléchi au "pourquoi" de cette découverte. Nous sommes arrivés à la conclusion que la difficulté à retracer les guerres antérieures au dernier siècle est loin d'être la seule raison pour ce fait.
Par ailleurs, nous avions aménagé un coin 'projet' où nous exposions tous les livres, les objets et les documents que nous avions trouvés. Tout au long de cette semaine, les élèves pouvaient aller dans ce coin pour lire les différents documents disponibles. A chaque fois qu'un jeune trouvait de l'information sur une guerre, il allait écrire quelques mots-clé sur notre chronologie géante.
De plus, les élèves ont fait des montages de photos de la guerre et de la paix. Nous avons également fait des ateliers d'écriture, dont une histoire de groupe qui a connu beaucoup de succès. Cet atelier débutait par une tempête d'idées, où chaque jeune nommait tout ce qui, selon lui, avait rapport à la guerre ou à la paix. Au fur et à mesure, j'écrivais ces mots sur une grande pancarte... A partir d'une phrase commune que j'avais choisie, chaque enfant imaginait une suite. Au bout d'une trentaine de secondes, chaque élève passait sa feuille à son voisin et continuait à écrire sur la feuille de son camarade. A la fin, chaque jeune lisait son histoire. Puis, par vote, on choisissait les textes qui nous avaient le plus touchés. Par petits groupes, les élèves écrivaient alors l'histoire sur de grandes pancartes et l'illustraient.
En outre, nous avons visionné La vie est belle et nous avons ensuite beaucoup discuté de ce film, notamment du comportement de Guido et du sens de l'histoire. Nous avons aussi échangé sur les scènes qui nous ont le plus touchés,bouleversés, choqués ou fait réfléchir.
Enfin, durant leur temps libre, plusieurs élèves ont fait des dessins, des calligrammes, ont écrit des poèmes ou ont lu des romans traitant de la guerre et/ou de la paix.
A la fin de cette semaine, nous avons fait une carte d'exploration où chacun a choisi un sujet d'intérêt plus spécifique. Pendant les deux semaines suivantes, les jeunes ont alors travaillé individuellement ou en petits groupes.Cette façon de travailler a été très enrichissante, car elle nous a permis de découvrir des thèmes très différents. En effet, certains enfants ont décidé de faire des recherches sur la première ou la seconde guerre mondiale, la guerre de cent ans, les guerres napoléoniennes, la guerre du Vietnam ou celle qui fait actuellement rage en Tchéchénie... D'autres ont fait des projets sur les armes, les camps de concentration ou la situation des enfants dans la guerre. D'autres encore se sont penchés sur Jeanne d'Arc, sur les Vikings ou sur les casques bleus. Enfin, un élève a réfléchi à des activités coopératives pour bâtir la paix...
La présentation des projets a eu lieu sous forme de kiosques. En d'autres termes, les élèves avaient aménagé leur coin avec des objets, des maquettes, des dessins, des pancartes... La plupart avait également fait un livre où figuraient leurs recherches. Ainsi, nous avons visité un kiosque après l'autre et quand l'un d'entre eux nous intéressait particulièrement, nous pouvions nous assoir pour lire la recherche. A la fin de cette même journée, chaque jeune a présenté en quelques mots son kiosque.
Grâce à ce projet, j'ai réalisé à quel point les enfants ont une grande ouverture d'esprit, une sensibilité très prononcée, mais surtout " la vertu d'étonnement et la force d'indignation, ressources que les adultes perdent parfois" (2). C'est pourquoi il m'a donné beaucoup d'espoir et m'a fait prendre conscience du rôle primordial de l'enseignant: si l'on veut peu à peu changer le monde pour en faire un univers de paix, il est essentiel d'ouvrir les yeux et de sensibiliser les jeunes à la triste réalité des guerres et de l'histoire de l'humanité. Il est essentiel de cultiver le souvenir, afin que ces atrocités ne se reproduisent plus. J'aimerais conclure par une citation de Gilles Perrault, s'adressant aux jeunes dans son livre Pourquoi les guerres? : " L'avenir vous appartient: il sera ce que vous en ferez... Que ce (vingt-et-unième) siècle, grâce à vous tous, soit enfin celui où l'humanité pourra imposer aux fous et aux imbéciles cette loi qu'elle espère et attend depuis si longtemps: " Plus jamais la guerre!" (3).
P.S: De tout coeur, j'aimerais remercier les personnes qui nous ont soutenus et qui nous ont permis de réaliser ce projet, comme les élèves eux-mêmes, mon enseignante associée, tous les auteurs qui se sont penchés sur ce sujet et bien évidemment l'Ecole Instrument de Paix.
Notes:
(1) LIENHARDT, Jean-Michel, Secrets de guerre, Montréal, Ed. HMH, coll.Atout, 1997, (192 p.).
(2) ROY, Claude, préface de La grande peur sous les étoiles, Paris, Ed. La découverte et Syros, coll. Syros jeunesse, 1997, (40 p.), p.7.
(3) PERRAULT, Gilles, Ill. BLOCH, Serge, Pourquoi les guerres?, Ed. du Seuil, coll. petit point, 1992, (64p.), p.54-55.
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