Pour une éducation démocratique
La parole "citoyenne"
Par Véronique Truchot
D'un point de vue éducatif, l'expérience de la parole paraît fondamentale dans la formation de citoyens libres et responsables. Cette prise de parole renvoie également à des approches pédagogiques qui s'inspirent pour une bonne part du courant socio-constructiviste. À la différence de théories qui reposent sur une conception du savoir considéré comme le cumul des connaissances antérieures élaborées par l'homme au fil des générations, cette perspective redonne à l'"apprenant-acteur" une place centrale dans la production de ses connaissances. Dès lors, le point de vue de l'élève est de première importance, et il doit être entendu.
La participation des élèves par la prise de parole est un sujet complexe. Celui-ci renvoie à la mission de l'école au plan de la formation de citoyens responsables, capables de discernement, ayant l'esprit critique et possédant les habiletés à faire des choix fondés sur des valeurs démocratiques. Ce souci de faire de l'école un lieu d'éducation à la citoyenneté est particulièrement prégnant dans les politiques ministérielles tant au ministère des Relations avec le citoyen et de l'Immigration qu'au ministère de l'Éducation (1997). Comme l'indique le rapport du Groupe de travail sur la réforme du curriculum: "L'éducation à la citoyenneté peut être entendue comme l'un des fondements de la mission globale de l'école démocratique." (Inchauspé, 1997, p.126).
Lensemble de lorganisation scolaire, des contenus et méthodes denseignement qui composent en grande partie le curriculum reflète les objectifs que se donne un système éducatif donné. Si l'on prend l'exemple du Québec, une recension des écrits traitant de la mission de l'école laisse apparaître un large consensus sur deux objectifs que devrait s'assigner l'école:
viser au développement et au plein épanouissement de la personnalité de l'enfant comme être autonome et responsable;
lui transmettre des valeurs en vue de son intégration dans une société libre et démocratique.
Qu'en est-il dans les faits? Si l'on prend en considération l'ensemble des composantes de l'expérience scolaire de l'élève, on doit également tenir compte des messages implicites véhiculés à travers les contenus denseignement, les types dévaluation, lorganisation des services, les pédagogies privilégiées, les attitudes du personnel scolaire, le règlement intérieur, etc. Ce vaste champ recouvre la notion de "curriculum caché", cet impedimenta à la transparence, qui permet de dire le contraire de ce que l'on fait et de faire contrairement à ce que l'on dit: un discours ouvert, des pratiques autoritaires. Sinterroger sur le curriculum caché, cest chercher à savoir quel sont les messages transmis aux élèves. C'est, d'une certaine manière, ce que nous ferons en soulevant la question des représentations qu'ont les élèves de la place qui leur est accordée dans l'école pour exprimer leurs points de vue.
Comme nous l'avons déjà souligné, nous considérons la participation des élèves par la prise de parole comme essentielle dans l'apprentissage de la démocratie. En effet, pour vivre en société, "il faut apprendre à réguler la parole. Sans codes ni lois, personne ne peut apprendre de l'autre. Parler, certes, mais écouter aussi. C'est le fondement de la réciprocité, un des moteurs de l'éducation à la démocratie." (Hénaire, 19972, p.4); et cet apprentissage passe par l'expérience de la parole.
Que ce soit d'un point de vue philosophique, psychologique ou sociologique, la parole -ou toute forme d'expression qui permet de communiquer- est primordiale dans le développement tant personnel que social de l'enfant et de la personne, au sens large. Cette préoccupation d'instituer des "espaces de parole" rejoint celle des défenseurs d'une école démocratique (Dewey, 1968; Mendel, 1971; Rueff-Escoubès et Moreau, 1987; Mougniotte, 1994, Meirieu, 1997), pour qui la mission première de l'institution scolaire est de contribuer à l'avènement d'une société démocratique (juste, libre et responsable). On peut toutefois se demander comment éduquer démocratiquement à la démocratie? Sans répondre ici à cette question complexe, il convient de rappeler, même si cela peut paraître une évidence, que sans droit de parole, il ne peut y avoir de démocratie.
Pourtant, les observations que j'ai pu faire au cous de ma pratique d'enseignante laissent entrevoir le peu de place réservée au "droit de parole" des enfants et des adolescents dans plusieurs écoles. Ce constat, soulève la question de la participation des élèves à la vie démocratique de l'institution, et plus spécialement celle de leur liberté d'expression. Celle-ci étant, selon plusieurs -et je partage cet avis-, l'acte de participation par excellence, à la base de la pratique démocratique, il nous semble essentiel que l'école y contribue.
Je me réfère ici à des instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme pour définir ce que nous entendons par liberté d'expression. Selon la Convention relative aux droits de l'enfant (1989, article 13), "Tout enfant [élève] a [devrait avoir] le droit d'exprimer son opinion sur toute question l'intéressant, ses opinions étant dûment prises en considération eu égard à son âge et à son degré de maturité." Ce "droit" de parole apparaît fondamental, tant du point de vue de l'éducation à la démocratie que de celui du développement personnel et social de l'enfant.
Pourtant, à de nombreuses occasion les élèves ne sont pas autorisés à donner leur avis sur des décisions importantes qui les concernent directement. L'administration scolaire statue sans les consulter, et la plupart du temps, la décision sont irrévocable.
Il existe cependant des moyens mis à la disposition des élèves dans les écoles pour quils s'expriment et donnent leur avis sur les décisions qui les concernent. C'est précisément le rôle du Conseil étudiant de représenter lensemble des élèves sur ces questions auprès du Conseil d'orientation; mais, dans bon nombre d'écoles ceux-ci ne semblent pas intéressés à y participer. Cela signifie-t-il qu'ils ne sont pas intéressés à donner leur avis?