Quel citoyen aspire-t-on à former? De quel Homme la démocratie a-t-elle besoin? Une personne prête à s’engager dans une "guerre juste" et à mourir pour défendre sa patrie? Quelqu’un se faisant obligation d’exercer son droit de vote et vivant, par ailleurs, en bonne intelligence avec son voisinage? Ou encore, chacun de ceux et celles qui, au fil du quotidien, se révèlent utiles aux autres et à eux-mêmes? À moins que ce ne soit un peu tout cela. Quoi qu’il en soit, une chose semble certaine: de la Grèce antique à nos jours, toutes les sociétés se sont intéressées d’une façon ou d’une autre à l’éducation à la citoyenneté visant le bien commun.La question éminemment politique du bien commun s’incarne dans la tension entre individus et institutions, elle interroge notre identité collective et notre attachement aux principes fondamentaux de la démocratie. Jusqu'où, en effet, doit-on respecter les principes démocratiques quand ceux-ci sont ouvertement mis à mal par le pouvoir en place? C'est la question que soulève la désobéissance civile nous invitant par là à nous interroger sur les différentes représentations de la citoyenneté. En effet, ce n’est pas tant le citoyen qui est formé, que des citoyens, des conceptions de la citoyenneté, des façons de se situer par rapport au collectif.

De nombreux auteurs se sont employés à mettre en évidence la diversité des conceptions de la citoyenneté (Pagé, 1996; Tessier,1996; Theiss-Morse, 1993;...). De ces écrits, ressortent essentiellement deux grandes tendances qui posent le rapport de l'individu à la société et peuvent être vues, soit comme aux deux extrémités d'un continuum, soit comme complémentaires l'une de l'autre.

Leca (1992, p.28) exprime ainsi l'opposition entre les deux représentations de la citoyenneté: "In classical political théory, the conception of citizenship wich is based on the conformity of laws in exchange for the protection of the social order is traditionaly opposed to the conception of citizenship wich is based on permanent and regular participation in political activities".

Très schématiquement, on peut dire selon la première tendance, qualifiée de "républicaine", que le "bon citoyen" est celui qui respecte les lois, remplit ses obligations (vote, paie ses impôts), connaît les bases de l'histoire nationale et les symboles qui s'y rattachent (hymne, drapeau, etc.), recherche l'intérêt collectif plutôt que sa satisfaction personnelle et est prêt à s'engager dans une "guerre juste" et à se battre pour défendre sa patrie. Selon la deuxième conception de la citoyenneté, inspirée de Locke et communément appelée "libérale", le citoyen est avant tout titulaire de droits inaliénables que le pouvoir politique ne saurait annuler. Cette conception, reprise par les instruments internationaux, place les droits de l'individu au premier plan, met l'accent sur les responsabilités de participation et implique que le citoyen peut délibérer et porter un jugement critique sur le fonctionnement de l'État.

Ces deux façons d'aborder la citoyenneté illustrent bien l'existence d'une tension permanente entre l'État et les individus. Comme le souligne Bîzéa (1996, p.16): "À concevoir dans la perspective de l'État, la citoyenneté signifie, loyauté, participation et service au bénéfice de la collectivité. À replacer dans la perspective de l'individu, la citoyenneté se traduit par liberté, autonomie et contrôle politique des pouvoirs publics" et, ajoute-t-il, "Ce sont là les deux versants inséparables de la citoyenneté.". Cette tension entre les libertés individuelles et le bien commun; entre les valeurs universelles et les revendications particularistes est à la base même de la démocratie.

Au Québec, comme ailleurs dans le monde, on ne peut aborder la notion de citoyenneté sans évoquer la pluriculturalisation croissante qui s'accompagne de "problèmes de discrimination d'intolérance, d'exclusion de certains groupes sociaux à cause de leurs différences culturelles, sociales et économiques. Ces problèmes empêchent les individus et les groupes d'exercer leur citoyenneté entière et responsable, empêchent leur appartenance et leur identification à la collectivité" (Marzouk, Côté et Kabano, 1997, p.27). Posée dans un contexte pluraliste, la notion de citoyenneté revêt donc un sens particulier et revoie au dialogue interculturel et au partage de valeurs communes.

La notion de citoyenneté est donc complexe, multiforme elle concerne autant les connaissances, les attitudes, les habiletés sociales que les valeurs; mais surtout, elle renvoie aux représentations individuelles et sociales des droits, de la justice, du "bon" citoyen...

 

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